Qu’il y a-t-il de commun entre le bijoux d’Elisabeth Taylor, une bouteille de grand vin de Bordeaux et un joueur de football ? Tous trois ont terminé l’année à des niveaux de prix record : 137 millions de dollars chez Christie’s à Londres pour les bijoux de la plus célèbre croqueuse de diamants du XXe siècle ; des enchères exceptionnelles pour de grands Bordeaux à Hong Kong ; des salaires dépassant le million de dollars mensuel offerts à quelques gloires du football en Europe et en Chine. Il s’agit là d’objets de luxe qu’au fond seuls peuvent se payer quelques « nouveaux riches », de ces objets emblématiques qui peuvent marquer une réussite sociale. Ils sont la partie émergée, la plus clinquante aussi, des tensions sur les marchés mondiaux qui se sont poursuivies en 2011 avec une hausse moyenne des prix des matières premières de 35 %. Le lien avec les matières premières peut sembler ténu mais il est bien réel : qui sont en effet les acheteurs de ces produits de luxe : des oligarques russes dont la fortune s’est faite dans l’énergie et les métaux (la potasse pour le repreneur de l’AS Monaco), des émirs du pétrole et du gaz (le Qatar bien sûr) et puis des hommes d’affaires chinois, la Chine qui est plus que jamais la clef de marchés mondiaux dont -en ces temps de marasme économique occidental- elle reste le débouché le plus dynamique.
Il y a en effet plusieurs manières de faire le bilan des marchés sur une année. Ainsi entre le début et la fin de 2011, les prix des matières premières ont diminué en moyenne de 10 %. Ceci cache en réalité la forte hausse des premières semaines de 2011 suivie par un très net retournement à la baisse jusqu’à la fin de l’année avant un léger rebond dans les premiers jours de 2012. Mais si on raisonne en termes de moyenne annuelle (2011 par rapport à 2010), l’image est bien différente. En utilisant l’indicateur CyclOpe – Rexecode, on obtient une hausse globale de 35 % en 2011, de 25 % si on exclue de l’indicateur énergie et métaux précieux. L’année 2011 a été la plus haute marche du cycle haussier que les marchés connaissent depuis 2005 et nous sommes bien au cœur du choc le plus important enregistré depuis les années soixante dix. Les hausses les plus fortes ont été celles de l’argent (+75%) qui devance le maïs (68 %), la laine, le charbon-vapeur, le café… Les seules baisses ont été celles du cacao (-5 %) et surtout du fret maritime pour le vrac sec (-44 %). Même en tenant compte du retournement quasi-général du printemps 2011, la plupart des marchés ont terminé l’année à des niveaux de prix historiquement élevés et cela sans même évoquer les tensions pétrolières liées au problème iranien. En dehors du cacao et du fret maritime, les seuls produits dont les prix sont insuffisants pour équilibrer les coûts moyens de production sont l’aluminium et le gaz naturel aux Etats-Unis.
La conjoncture des marchés en 2011 s’explique par la demande mondiale portée par une croissance qui aura quand même dépassé les 4 %, par des tensions géopolitiques majeures à l’image du printemps arabe, par quelques accidents climatiques moins importants toutefois qu’en 2010, par l’ambiance générale d’incertitude financière qui a pesé encore sur les investissements nécessaires en termes de capacités de production nouvelles. La spéculation sur les marchés dérivés n’a modifié qu’à la marge l’équilibre général à l’exception peut-être des métaux non ferreux côtés sur le London Metal Exchange dont les insuffisances en termes de régulation sont désormais notoires.
En fait au fil des mois la dépendance des marchés vis-à-vis du débouché chinois n’a cessé d’augmenter. Alors que s’amorçait la panne des économies occidentales, la Chine est devenue le paramètre incontournable de la quasi-totalité des marchés de commodités (à l’heure où les chinois se mettent à sucrer leur café, le cacao en demeure la notable exception). Il en sera de même en 2012 et selon que l’on situe la croissance de l’Empire du Milieu à
7 % ou 10 %, on obtient des prévisions diamétralement opposées.
Mais au-delà de la Chine, il faut aussi considérer les besoins de la planète : ceux-ci seront à moyen terme loin d’être satisfaits du fait de la montée en puissance de la consommation dans les pays émergents : qu’il s’agisse d’alimentation, d’énergie ou de métaux de base, les investissements actuels demeurent largement insuffisants alors que s’accumulent les obstacles (géopolitiques, réglementaires, environnementaux) à leur développement. Les prix élevés du début de 2012 reflètent au fond la réalité d’une situation dans laquelle la planète vit à crédit mais en termes de ressources cette fois.
Ceci promet de beaux jours aux producteurs et à leur appétit pour tout ce qui brille. Espérons simplement qu’ils sauront mieux que par le passé partager leur rente et échapper à la malédiction des matières premières.