1er février
À Casablanca se tient le « Forum de Paris, Casablanca Round » qui rassemble politiques et hommes d’entreprise sur le thème de l’émergence dans un monde en crise que je leur ai soufflé. Le Maroc est en effet pour moi l’un des pays dont l’émergence économique est parmi les plus symboliques. Avec la Turquie, il est le seul pays musulman à connaître un véritable décollage et une croissance régulière de l’ordre de 4 % sans pourtant disposer de ressources naturelles à l’exception des phosphates. Au cœur du printemps arabe, il est le seul, grâce à l’ouverture du souverain, à avoir initié une transition démocratique qui a porté au pouvoir (au moins en partie) un premier ministre légèrement barbu. Pourtant le décollage marocain n’est pas des plus faciles : l’industrie souffre des déboires européens ; les travailleurs migrants en Espagne ont dû rentrer ; une bonne moitié de la population est analphabète. Et puis, le Maroc est isolé avec au Nord, une Europe guère accueillante, au Sud une Afrique toujours aussi mal partie et surtout à l’Est une Algérie qui reste fermée (le Maroc importe ainsi son gaz de… Russie).
La poursuite de la croissance marocaine, mais surtout l’évolution d’une société qui reste profondément inégalitaire et puis le choc de la modernité, voilà qui peut faire du vieux royaume chérifien (1200 ans) un symbole d’espérance pour le reste du monde.
2 février
L’annonce du projet de fusion entre Glencore et Xstrata fait la une de la presse économique. Glencore c’est la plus importante entreprise de négoce international au monde, le premier négociant mondial en énergie, en minerais et métaux et un acteur non négligeable dans le domaine agricole. Xstrata (un nom curieux qui provient d’une entreprise suisse du nom de Südelektra) est le quatre ou cinquième mineur mondial et faisait à l’origine partie de Glencore qui en détient encore 34 %. Du point de vue minier, la fusion entre Xstrata et les actifs miniers détenus par Glencore a tout son sens.
Mais on peut douter de la logique véritable du mariage d’un négociant et d’un mineur. Le négociant vit dans le temps court, celui d’une opération de « trading » là où le cycle de la mine dépasse facilement les dix ans. Culturellement, on se trouve dans des mondes différents : négociants et mineurs ont rarement fait bon ménage.
Il faut aussi tenir compte de la très mauvaise réputation de ces deux entreprises et notamment de Glencore. Présente dans de nombreux pays parmi les plus « risqués » de la planète, Glencore y est toujours à la limite du légal en fonction de réglementations locales déjà bien laxistes. Voilà en tous cas une fusion qui n’augure de rien de bon que ce soit en termes managériaux, mais aussi pour la planète et l’exploitation de ses ressources.
3 février
À mon séminaire ce matin, un banquier nous rappelle avec ironie que la banque de marché est le seul secteur économique pratiquant l’économie marxiste, c’est à dire où la rémunération du travail a largement pris le pas sur celle du capital. Il fait là référence à la saison des « bonus » qui vient de commencer. À Londres comme à New York, elle suscite maintes controverses : le patron de la Royal Bank of Scotland, sauvée en 2008 par le contribuable britannique, a dû renoncer à son bonus, alors que son prédécesseur perdait son titre de chevalier (sir) comme si en France on pouvait enlever aux banquiers faillis leurs rubans et autres rosettes.
Ceci étant, les montants des bonus annoncés chez Goldman Sachs et dans quelques autres maisons de Wall Street sont effectivements choquants, mais au fond correspondent à une logique de partage capital-travail qui prévilégie les seuls actifs de ces entreprises : les hommes ! Serait-il plus moral de rémunérer des actionnaires passifs que les jeunes et moins jeunes prodiges des salles de trading ? La vraie question est plutôt celle de la contribution de cette « finance de court terme » à la croissance économique. Mesurés à cette aune, ces bonus ne se méritent plus guère, mais c’est là une question de gouvernance voire même de morale publique.
6 février
Après la neige, le froid fait la une de l’actualité hexagonale : il est vrai qu’il est intense et cela se sent ce matin dans les amphithéâtres quelque peu gelés de Dauphine où je professe.
La vague de froid va s’accompagner d’une forte augmentation de la consommation électrique et probablement même de records de consommation et de flambée des prix sur le marché « spot ». Ceci ne manquera pas de relancer le débat énergétique en France. Sauf les moments un peu exceptionnels que nous vivons, la France doit son indépendance énergétique à l’énergie nucléaire. Quels que soient les résultats des élections de 2012, il y a peu de chances qu’il en soit ainsi demain : François Hollande s’est engagé à fermer Fessenheim qui est un symbole, mais de toute manière les retards pris en matière d’investissement sont tels que même en prologneat les durées de vie des centrales, la part du nucléaire dans notre mix énergétique déclinera. Le vent et le soleil étant de doux rêves même avec des systèmes intelligents (smart grids) ne faudra-t-il pas au lendemain des élections poser de manière calme la question de nos ressources en gaz naturel et donc en gaz de schiste. Voilà à quoi ce grand froid pourrait nous mener !
8 février
Renault ouvre sa nouvelle usine de montage à… Tanger. En pleine campagne électorale, Carlos Ghosn ne manque pas d’un certain sens de la provocation.
Il n’y a pas longtemps la « Régie Nationale des Usines Renault » était le fleuron de l’économie mixte et Billancourt était le thermomètre des tensions sociales françaises. Renault est désormais « presque » privé, sans actionnaire de référence avec à sa tête le patron le mieux payé de France, mais par ses autres employeurs japonais.
La seule réussite récente de Renault a été l’enfant de Louis Schweizer : le « lowcost » de Dacia en Roumanie. Logiquement Ghosn surfe sur cette vague en s’installant à Tanger. La stratégie est cohérente et au fond on ne peut que se réjouir de cette contribution au développement marocain. Renault va dans le sens de l’histoire en prenant un peu plus pied sur les marchés méditerranéens. Fort bien… mais au même moment, il est clair que Renault se dégage de son emprise hexagonale. Au même moment General Motors, dont les liens avec la puissance publique américaine sont autrement plus importants, relance ses investissements aux États-Unis.
Y a-t-il une logique pour une certaine forme de nationalisme automobile ? Aux États unis et en Allemagne certainement. En France on en doute un peu.
9 février
Les métallos allemands réclament par la voix de leur syndicat I.G. Metall une hausse de 6,5 % de leurs salaires. Fort logiquement ils réclament leur part de la prospérité allemande. Il est vrai que 2011 a été une année exceptionnelle pour l’Allemagne dont les exportations ont pour la première fois passé les mille milliards d’euros ! Mais on oublie que cette compétitivité, l’Allemagne la doit à l’effort considérable réalisé en matière de coût du travail depuis 2005 et les grandes réformes Schröder. La réforme du modèle social, l’adoption d’une TVA sociale, mais aussi la modération salariale (et puis aussi le travail à temps partiel ainsi que les contrats d’intérim des ouvriers en provenance des voisins de l’Est) ont permis à l’Allemagne de réduire ses coûts salariaux et d’augmenter la productivité du travail. C’est ce qui explique, à l’inverse, la morosité des ménages allemands, leur faible propension à consommer et… à avoir des enfants.
La revendication des métallos – une des négociations les plus importantes de la scène sociale allemande – devra être suivie avec attention tant ses conséquences sont grandes pour le reste de l’Europe.
11 février
Athènes gronde, la Grèce est en feu. Hier encore on croyait un accord acquis entre la Grèce et ses créanciers qu’il s’agisse de la « Troïka » (FMI, BCE et Commission) ou des créanciers privés. Les trois principaux partis grecs avaient accepté un nouveau train d’austérité (diminution de salaires, disparition d’une partie des salariés du secteur public…) et en échange les créanciers privés avaient accepté une remise de dette à hauteur de € 100 milliards, tandis que la Troïka accordait € 130 milliards de nouveaux prêts. L’accord avait été obtenu dans la douleur jeudi soir, mais dès vendredi la rue l’a remis en cause.
Et au fond on peut comprendre les Grecs : il y a un million de chômeurs et le chômage des jeunes atteignait en décembre le taux de 48 %. En décembre aussi, la production industrielle s’affichait en recul de 11,3 % sur un an. Est-il bien raisonnable de chercher à administrer un véritable remède de cheval à une Grèce à l’agonie dont les dirigeants politiques ont de toute manière fait la preuve de leur incapacité. À l’inverse, faut-il céder au chantage à l’euro et ne pas abandonner le passager grec ?
Mais si j’étais grec, je serais sur les barricades !
14 février
Mais que veulent donc les Européens ? Le Parlement grec vient – dans la douleur – de voter toutes les conditions imposées par la « Troïka » et au lieu de s’en réjouir et de féliciter le malheureux soldat grec, au lieu surtout d’aider un personnel politique certes décrédibilisé, mais que l’on ne peut accuser d’inaction, voilà les européens qui repoussent encore leur prochaine réunion et donc leur décision quant à un nouveau paquet d’aide à la Grèce tandis que les Allemands se raidissent encore un peu plus dans leur volonté de mettre la Grèce sous tutelle.
Au dernier trimestre de 2011, le PIB grec a reculé de 7 % et cela fait maintenant quatre ans que la Grèce est en récession. Il faut bien sûr rebâtir les conditions d’une sortie de crise, mais tant de rigueur, imposée avec tant de violence, risque de provoquer l’effet exactement inverse. Certes la faillite de l’état grec est totale, mais la baisse de 22 % du SMIC en fait porter l’essentiel de la charge sur les milieux les plus pauvres et sur les classes moyennes.
Il est difficile d’imaginer un miracle grec. Mais il est pathétique de constater que dans la trousse de soins des médecins européens il n’y a comme au temps de Molière que « purges et saignées ». C’est la garantie qu’ils finiront par tuer le malade. La science économique n’a guère fait de progrès quand il lui manque tant de sens commun.
16 février
Sans qu’on le réalise bien, le pétrole est en train de battre tous ses records de prix, exprimés en euros ! En juillet 2008, il avait culminé à $ 147 le baril, mais au même moment l’euro était aussi à son plus haut et s’échangeait contre $ 1.60.
À la mi-février 2011, les bruits de bottes israéliens autour de l’Iran, l’éventualité d’une frappe israélienne et les menaces qui pèsent sur le détroit d’Ormuz ont fait rebondir le baril de Brent à 120 dollars. Au même moment, les tourments européens et la meilleure santé de l’économie américaine maintiennent l’euro autour de $ 1.30, ce qui est déjà assez cher payé ! Le résultat c’est que le pétrole calculé en euros (92 euros le baril) est plus cher qu’en juillet 2008 de quelques centimes. Ceci ne manquera pas de se traduire à la pompe au grand mécontentement des automobilistes.
Le problème est que cela risque de durer. L’éventualité d’une frappe israélienne ne peut être balayée du revers de la main et sans même imaginer un blocage du détroit d’Ormuz, un baril à $ 150 fait partie des scenarii à considérer. Quant à l’euro, il aurait toutes les raisons de s’affaiblir encore au fur et à mesure du rebond américain et de la récession européenne. Résultat, jamais le pétrole et donc l’essence n’auront coûté aussi cher qu’en cet hiver 2011.
Et le pire est probablement devant nous !
17 février
Décidément la France nous surprendra toujours. Au dernier trimestre 2011, elle a pratiquement été le seul grand pays européen à enregistrer une croissance positive (la zone euro est en négatif…) et au final sa croissance de 1,7 % en 2011 est des plus honorables loin certes de l’Allemagne (+3 %), mais devant les Pays-Bas et l’Autriche (+1,2 %), l’Espagne (+0,7 %) et l’Italie (+0,4 %). Le vilain mot de récession s’éloigne donc.
Une autre bonne nouvelle vient de l’analyse des composantes de la croissance. Alors que la consommation reste plombée par la montée du chômage, c’est l’investissement des entreprises qui a représenté l’essentiel de la contribution à la croissance dans les derniers mois de 2011. En fin d’année, on a enregistré aussi un sursaut bien venu de ventes d’Airbus et d’immatriculations automobiles.
Comme à l’habitude (cela avait déjà été le cas en 2009), l’économie française montre une assez remarquable résilience en période de crise, mais moins de capacité de rebond par la suite. L’inquiétant c’est aussi le décalage apparent entre l’activité économique et le marché de l’emploi : plus de 30 000 emplois ont été détruits dans les secteurs marchands au dernier trimestre 2011 alors que l’économie française avait encore créé des emplois jusqu’en juillet.
L’avenir peut inquiéter, mais au moins ces chiffres apporteront quelque sérénité aux débats électoraux qui s’ouvrent !
18 février
La BBC m’interroge sur la « mort du franc ». Hier, en effet, les Français pouvaient pour la dernière fois échanger leurs billets en francs aux guichets de la Banque de France, dix ans après l’introduction de l’euro. Venant de nos voisins britanniques dont le sterling résiste – et résistera encore longtemps à l’hydre européenne – je sentais une certaine jouissance goguenarde. Et les questions insidieuses ne manquèrent pas sur l’attachement des Français à leur vieille monnaie, de Germinal à Poincaré, sur les positions aussi des anti-européens de Le Pen à Mélenchon. J’eus d’ailleurs beau jeu de leur rappeler que nous devions le franc à une invasion anglaise et à la défaite de Jean II Le Bon pour la rancon duquel furent frappés les premiers « francs ».
Mais revenir au franc aujourd’hui, qui vraiment y songe au-delà de quelques estrades politiques ! L’euro est un maillon essentiel de la construction d’une Europe fédérale qui est l’héritage majeur que nous lèguerons aux générations futures. Certes, la construction reste incomplète et le navire tangue et fait eau en maints endroits. Faut-il l’abandonner pour autant ?
Protégés par leur insularité, nos amis britanniques restent figés dans leur passé impérial et dans un présent qui de la reine à Margaret Thatcher les conforte dans leurs splendide isolement. Vive le sterling !