CyclOpe 2024

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Attendre et espérer"

Publication du Rapport

Cyclope 2024

14 Mai 2024 - Paris

CyclOpe 2023

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les cavaliers de l'Apocalypse"

Publication du Rapport

Cyclope 2023

23 Mai 2023 - Paris

CyclOpe 2022

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le monde d'hier »

Publication du Rapport

Cyclope 2022

8 Juin 2022 - Paris

CyclOpe 2021

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Cette obscure clarté qui

tombe des étoiles »

Publication du Rapport

Cyclope 2021

26 Mai 2021 - Paris

 

CyclOpe 2020

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Allegoria ed effetti
del Cattivo Governo -Ambrogio Lorenzetti 
»

Publication du Rapport

Cyclope 2020

09 juin 2020 - Paris

CyclOpe 2019

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Les illusions perdues »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2019

15 mai 2019- Paris

CyclOpe 2018

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Le ciel rayonne, la terre jubile »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2018

16 mai 2018 - Paris

CyclOpe 2017

 

LES MARCHES MONDIAUX

« Vent d'Est, Vent d'Ouest »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2017

15 mai 2017 - Paris

CyclOpe 2016

 

LES MARCHES MONDIAUX

« A la recherche des sommets perdus »

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2016

24 mai 2016 - Paris

CyclOpe 2015

LES MARCHES MONDIAUX

Pour qui sonne le glas ?

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2015

20 mai 2015 - Paris

CyclOpe 2014

LES MARCHES MONDIAUX

Dans le rêve du Pavillon Rouge

A l'occasion de la publication du Rapport Cyclope 2014

14 mai 2014 - Paris

1er juin

             Le championnat de football à peine terminé voila que l’on annonce la vente du PSG, le club de Paris, au fonds souverain de l’Émirat du Qatar. À y regarder de près cela ne vaut pas bien cher (quelques dizaines de millions d’euros), mais le vendeur se trouve soulagé de toutes les pertes à venir de qui reste une « danseuse ».

             Le football est sans conteste le sport le plus populaire de la planète et l’argent y règne en roi au point de faire passer au second plan les considérations sportives. Il y a eu d’abord les oligarques russes et quelques milliardaires américains qui se sont payés des clubs anglais. Voilà maintenant les princes du Golfe, bientôt probablement les nouveaux riches chinois.

             Reconnaissons aux Qataris une certaine suite dans les idées : ils se sont offerts la Coupe du Monde de football en 2022, maintes épreuves sportives et leur représentant a même tenté – sacrilège suprême – d’obtenir la présidence de la FIFA, la fédération internationale de football, mais en a été empêché pour quelque sombre histoire de corruption. Tout ceci ne prêterait qu’à sourire si au même moment les milieux syndicaux internationaux ne nous rappelaient que les beaux stades climatisés du Qatar seront construits par un lumpenprolétariat d’esclaves indo-pakistanais vivant dans la misère la plus totale. Pensez-y en regardant le PSG!

2 juin

             Avec quelque retardement, l’affaire DSK provoque en France un vaste mouvement d’introspection sur le machisme propre à la société française. Après DSK, il y a eu l’affaire Tron, personnage de second rang vite escamoté, et puis chaque jour apporte son lot de révélations croustillantes égratignant les uns et les autres alors que nombre de femmes révèlent au grand jour ce qui jusque-là se chuchotait dans les cercles d’initiés.

             Curieusement le ton général reste goguenard, preuve que les Français demeurent en la matière d’une grande tolérance : le pouvoir – quel qu’il soit – exciterait les papilles sexuelles et l’on ne manque pas de rappeler maintes autres affaires qui ont marqué les républiques du passé, de Félix Faure aux ballets roses sans même aller jusqu’à Louis XIV ou Louis XV.

             L’affaire DSK est au fond un révélateur, un regard venant de l’extérieur sur une France pour laquelle l’égalité des sexes demeure avant tout une réglementation de parité imposée et non voulue et où le militantisme féminin est presque vécu comme une déviance, et la source de bien d’autres déviances. Au passage l’image du « French lover » prend un coup de vieux tout comme le canotier de Maurice Chevalier. Allons, il est grand temps d’évoluer et de reconnaître la grâce d’être homme et femme, différents et égaux.

 

3 juin

             Une mystérieuse bactérie plonge l’Allemagne au cœur d’une nouvelle de ces peurs alimentaires qui sont à notre temps ce qu’étaient les épidémies de peste des siècles passés. Accusés, puis disculpés, les concombres espagnols en ont payé le prix fort et avec eux nombre d’autres légumes qu’ils soient espagnols, français ou italiens. La peur est devenue générale et partout la consommation s’effondre au grand dam des producteurs.

             Pourtant jamais notre alimentation n’a été aussi saine, aussi contrôlée, aussi bien encadrée. Le problème est que cette certitude rationnelle se heurte à l’irrationnel de notre comportement alimentaire lui-même largement manipulé par les médias et la communication des grandes marques : on rêve en effet du produit « naturel », issu de productions « traditionnelles », élaboré comme « autrefois ». Mais sait-on ce qu’était l’alimentation des Français à la « Belle Époque », vers 1900? Imagine-t-on seulement la qualité des aliments de nos grands-parents? En ce temps-là, l’espérance de vie dépassait à peine les cinquante ans et la qualité de l’alimentation y était pour beaucoup. Que les aliments actuels puissent être moins « goûteux », c’est probable, mais c’est souvent là le prix de notre sécurité ainsi que de la disponibilité des produits dans l’espace et dans le temps. Plaignons plutôt les malchanceux producteurs de légumes injustement montrés du doigt.

4 juin

             « Le gamin au vélo », un très beau film belge des frères Dardennes qui a obtenu le prix du jury à Cannes raconte l’histoire d’un jeune adolescent à la recherche de son père qui le rejette et en proie aux tentations de la vie dans les cités, ici quelque part dans une Wallonie glauque à souhait. Le film se termine sur un trait d’espoir comme il y en a bien peu désormais dans les cités.

             En banlieue parisienne, le maire de Sevran vient de réclamer l’intervention de l’armée, de « Casques bleus », pour éviter que les conflits armés entre bandes de « dealers » ne fassent des victimes dans les écoles du quartier. On est là presque de retour au début du quinquennat au temps où Nicolas Sarkozy promettait de « nettoyer au Karcher » les cités les plus dures. L’échec est total et pose à la société française son défi le plus grand : faire revenir certes la loi et l’ordre, mais surtout enrayer le mouvement qui tend à faire de quartiers entiers des zones de marginalisation croissante. Certes il y a toujours eu des « bas quartiers », des « classes dangereuses » et autres cours des miracles. Mais nous sommes là dans un autre registre servi paradoxalement par un état providence qui ne sait manier que la carotte des allocations et le bâton de la répression sur fond d’échec architectural et urbanistique. C’est en fait tout un tissu social qu’il faudrait être capable de rebâtir comme autrefois de patronages et d’amicales laïques, de compassion et d’amour du prochain. Comme le fait la jolie coiffeuse pour le gamin au vélo.

 

5 juin

             Le tournoi de Roland Garros a été remporté pour la sixième fois par Rafael Nadal dont le passage à vide aura été de courte durée et surtout, chez les femmes, par la Chinoise Li Na. Pour la première fois, un joueur de tennis chinois remporte ainsi une épreuve du grand chelem. On dit que près de 400 millions de Chinois ont regardé le match à la télévision provoquant même la déprogrammation de tournois de ping-pong, un sport autrement plus populaire dans l’Empire du Milieu.

             Cette victoire est bien plus symbolique que la moisson de médailles engrangées par la Chine aux J.O. de Beijing. Il s’était agi à l’époque de réaliser un objectif collectif pour lequel tous les moyens avaient été mis en œuvre même dans les sports les plus confidentiels. Mais le tennis est avant tout un sport individualiste et la joueuse chinoise l’a bien montré en faisant sa carrière en dehors du giron du Parti : nul doute que sa victoire ait plus d’écho dans les quartiers branchés de Beijing ou de Shanghai que dans les campagnes profondes. Ce sont en effet les mêmes qui apprécient le tennis, boivent du vin et achètent de l’art contemporain. La Chine poursuit ainsi son intégration à un processus de mondialisation qui reste encore profondément marqué par les valeurs « occidentales ». Le temps de la diplomatie du ping-pong avec les États-Unis est bien loin.   

 

6 juin

             A ne pas savoir ce qu’il veut en matière d’ISF, le gouvernement récolte le désordre et la bronca de ses “backbenchers”. L’un d’eux, fort logiquement, vient de faire voter un amendement étendant le champ de l’ISF aux œuvres d’art. Immédiatement toute la France cultureuse de Frédéric Mitterand à Pierre Bergé s’est indignée estimant qu’avec une telle mesure la France perdrait ses derniers collectionneurs et mécènes (pour la plupart ils sont déjà à Bruxelles…)

             Mais cette proposition est marquée au coin du bon sens. Soit on supprime l’ISF et on compense le manque à gagner en taxant un peu plus les successions, l’assurance-vie, les très hauts patrimoines et revenus et en supprimant toutes formes de niches fiscales, soit on élargit la base de l’ISF à l’ensemble du patrimoine, non seulement l’art mais aussi les biens professionnels, on supprime toutes les dérogations y ompris sur la résidence principale et alors on peut réduire le taux de l’ISF afin de le rendre le plus juste et le plus indolore possible. Au passage, on supprime la possibilité d’investir son ISF et on ne conserverait que la seule possibilité d’en faire un don.

             Ce sont là les deux seules attitudes cohérentes, probablement trop radicales pour être imaginables politiquement à un an des élections présidentielles. Alors l’art continuera à êter exonéré, l’ISF à fuir par toutes ses fissures mais à demeurer l’un des symboles majeurs de la bêtise fiscale française.

 

7 juin

             Le vent des élections souffle dans des directions opposées mais les électeurs finissent toujours par punir les incompétents : au Portugal, la droite vient de reprendre le pouvoir dans un contexte de crise de l’endettement et de programme d’austérité imposés par Bruxelles. Au Pérou, c’est la gauche qui l’a emporté : il est vrai qu’Ollanta Humala, le nouveau président, avait en face de lui Keiko Fujimori, la fille d’un ancien président qui n’a laissé que de mauvais souvenirs aux péruviens.

             L’élection péruvienne semble pourtant renforcer un courant populiste de gauche dont la principale figure est Hugo Chavez au Vénézuéla, malgré le pétrole, devrait pourtant servir de leçon et le “modèle” brésilien inspirer un peu plus les élites politiques latino-américaine.

             Au même moment en Italie, la perte par Berlusconi de la mairie de Milan, son fief, sonne par contre peut-être le glas d’une autre forme de populisme.

             Pendant ce temps en France, on continue à se déchirer tant chez les socialistes que chez les verts et même à droite à Paris dans la perspective des sénatoriales et des municipales. Les centristes s’interrogent sur une candidature tandis que Daniel Cohn-Bendit boude les agapes vertes à La Rochelle. Au fond, le pays le plus heureux n’est-il pas la Belgique qui depuis plus d’un an n’a pas de gouvernement !

 

8 juin

             En mai, l’économie américaine n’a créé que 54 000 emplois : une goutte d’eau qui ne peut empêcher le chômage de remonter à 9,1 % alors même que la part de la population active dans la population américaine est, à 64 %, au plus bas depuis la crise du début des années quatre-vingt. Les nouvelles du côté de l’immobilier sont mauvaises, la production industrielle stagne et la consommation des ménages ne montre guère de dynamisme : à près de $ 4 le gallon d’essence, la “driving season”, le moment où les américains repartent “on the road again”, a bien mal commencé.

             Pourtant, le gouvernement et la Fed ont presque tout essayé : 10 % de déficit budgétaire en 2011, un plafond de la dette en passe d’être pulvérisé, des taux d’intérêt pratiquement nuls et une banque centrale qui imprime de la monnaie de manière massive avec ses opérations de “quantitative easing”. Tout y est mais la mayonnaise ne prend pas et l’échec économique de Barrack Obama est de plus en plus patent : n’est pas Roosevelt qui veut ! Sa grande chance réside dans la division des républicains parmi lesquels on a du mal à imaginer l’émergence d’un candidat crédible pour 2012.

             Mais à la fin du jour, le problème américain est par le biais de la faiblesse du dollar celui de la planète entière. Il n’est pas sûr qu’Obama l’ait compris.

 

9 juin

             Luc Ferry est philosophe, pas un grand mais un très lu… Il est probablement aujourd’hui, comme le souligne Alain Duhamel dans son éditorial de Libération, le “philosophe le plus institutionnel de France” et je ne suis pas sûr que ce soit là un compliment… Il a été aussi ministre de l’éducation Nationale et siège encore dans nombre de conseils de la République, certains rémunérés comme le Conseil Economique et Social.

             Mais il est aussi enseignant et professeur de philosophie à l’université Paris VII où depuis des années il n’a fait aucun cours. Longtemps il bénéficia de décharges plus ou moins justifiées mais depuis l’autonomie des universités ce genre de passe droit ne fonctionne plus. il occupe un poste pour lequel il est rémunéré (mal certes) et pour lequel il n’a pas fait la moindre des 192 heures du service statutaire d’un professeur, sans même parler de toutes les tâches administratives et d’encadrement des étudiants que se coltinent quelques besogneux obscurs.

             Pris la main dans le sac par le Canard Enchainé, il s’est drapé dans sa dignité avant  que de proposer de faire ses cours sous forme de conférences “façon Collège de France” entre le 15 juin et le 13 juillet en oubliant simplement que les étudiants sont alors en train de réviser.

             Quel mépris ! Quelle vanité aussi que de s’imaginer au-dessus de cette démocratie académique à laquelle il a pourtant présidé en tant que ministre. L’obscur “prof” que je suis tenait à ce coup de gueule !

 

10 juin

             Débat sur les avenirs énergétiques de la France à ouen avec un scientifique spécialiste du nucléaire. Le Normandie, avec les centrales de Flamanville et l’usine de La Hague est en première ligne sur le front du nucléaire. Pourtant nous sommes loins des peurs allemandes et suisses et aucune inquiétude véritable n’est perceptible dans un public nombreux et plutôt “troisième âge”. En réalité ce n’est pas l’avenir du nucléaire qui pose problème : on peut simplement penser que Fukushima marquera un coup d’arrêt à son expansion et peut-être quelque retard pour les développements, les plus intéressants modèles Super phénix ou Iter.

             Beaucoup plus important à mon sens est de parvenir à se dégager du pétrole là où il règne en maître, c’est-à-dire pour les transports. J’écris ces lignes dans un TGV, admirable réussite française pour le transport des passagers (même si on ne peut que regretter le déclin des liaisons secondaires). Au même moment des norias de camions transportent toutes sortes de marchandises sur les routes européennes. A Rouen, justement, le port a exporté cette année plus de 10 millions de tonnes de céréales qui pour 80 % d’entre elles sont arrivées par camion, ce qui pour une marchandise pondéreuse comme celle-ci est une véritable aberration marquant bien l’échec du fret ferroviaire. Mais au-delà c’est la logique du “tout camion, juste à temps” qu’ils nous faut remettre en cause dans l’organisation des modèles de production : moins spéctaculaire mais beaucoup plus difficile que de sortir du nucléaire.

 

11 juin

             San Sebastian, la capitale du Guipuzkoa, l’une des trois provinces basques d’Euskadi vient de se doter d’un maire issu du nouveau parti de la gauche indépendantiste (Bildu, ex Batasuna) qui n’a jamais coupé les ponts avec ETA. Bildu a certes bénéficié du soutien ambigu du Parti national basque (PNB), mais surtout de l’effondrement des deux partis nationaux espagnols, ceux autour desquels s’organise l’alternance, le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste (PSOE). Ceci est bien sûr à resituer dans le contexte de la lourde défaite subie dans toute l’Espagne et la cause indépendantiste est manifestement en recul à l’image d’ETA dont le combat a perdu presque tout sens pour les Basques espagnols eux-mêmes.

             Le vote basquisant correspond beaucoup plus à une réaction populiste identitaire, de gauche en Euskadi comme il est de droite en Lombardie ou en Flandre. En France, le populisme s’exprime aux extrêmes de l’échiquier, chez Le Pen et Mélenchon et le régionalisme tient beaucoup plus du folklore. Tel n’est pas le cas en Espagne, en Italie, en Belgique et dans une moindre mesure même au Royaume-Uni (la « devolution » de l’Écosse). Là, le repli identitaire exprime moins une volonté indépendantiste affirmée que la peur de la « mondialisation », responsable des malheurs de la crise, que la volonté de se refermer face à l’étranger. On est là bien loin des valeurs de « gauche » officiellement mises en avant.

12 juin

             La Pentecôte est une des grandes fêtes chrétiennes qui commémore, 49 jours après Pâques, l’effusion de l’Esprit saint sur les apôtres. C’est l’un des grands mystères de la foi chrétienne, un de ceux qui donnent lieu aux divergences spirituelles les plus grandes jusqu’au pentecôtisme des protestants américains qui a inspiré le renouveau charismatique chez les catholiques.

             Dans la France laïque, c’est avant tout un grand week-end puisque le lundi de Pentecôte est férié. Curieusement les fêtes catholiques continuent à marquer le calendrier républicain. On se souvient qu’en 2003, au lendemain de la canicule estivale qui avait décimé les rangs du quatrième âge, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait décidé que le lundi de Pentecôte serait une journée travaillée au profit de la solidarité nationale. L’idée était généreuse quoique, comme toujours en France, organisée autour de la solidarité publique en oubliant le champ des solidarités privées. L’état fut le premier incapable d’imposer cette « réforme » à ses fonctionnaires, à ses services publics et surtout à ses écoles. Le lundi de Pentecôte est donc resté férié tout comme en ce printemps le jeudi de l’Ascension : belle illustration de la capacité de résistance des Français au moindre changement. Il est vrai que là, la décision du Prince n’était guère sage.

 

13 juin

             La Scala de Milan est un des opéras les plus mythiques au monde vivant encore au temps où les compositeurs italiens, de Rossini à Toscanini donnaient le ton à la planète entière. On y jouait ce soir – admirablement – le Roméo et Juliette de… Gounod qui a suffisamment d’accent de bel canto pour pouvoir passer pour italien.

             La salle de la Scala est assez caractéristique de ce qu’était la fonction sociale de l’Opéra au XIXe siècle : au-dessus de l’orchestre s’élèvent six ou sept rangées de loges, chacune contenant de quatre à six sièges. En dehors des loges de face, la vue y est médiocre, voire inexistante. Mais ce n’était pas là l’essentiel puisque l’important était de voir les autres loges et bien sûr d’en être vu. En face de chaque loge, un petit réduit permettait aux domestiques de faire un peu de cuisine et l’on se recevait de loge en loge souvent dans l’indifférence la plus totale pour le spectacle en cours.

             Curieusement l’opéra a conservé sa fonction sociale : les entreprises se bousculent pour financer les nouvelles créations. Les grands patrons doivent y être vus. La comédie sociale n’a guère changé. Pourtant, en tant que genre musical l’opéra appartient au passé : les créations contemporaines sont rares et peinent à dépasser les cercles d’initiés. On se contente d’inventer de nouvelles mises en scène sur des livrets souvent bien obscurs et on laisse aux véritables amateurs, ceux du poulailler, le soin de juger de la qualité de l’orchestre et des chanteurs. Ce soir à la Scala, ils étaient de qualité et la mise en scène fort classique. Pour le reste, dans les loges…

 

14 juin

             La Une de « The Economist » (Berlusconi, the man who screwed an entire country) s’affiche dans les kiosques et les librairies de Milan au lendemain d’une nouvelle défaite électorale pour le premier ministre italien :  quatre referendums d’initiative populaire ont réuni suffisamment de votants (57 %) et surtout les électeurs ont décidé à 95 % de rejeter quatre lois soutenues par Berlusconi sur la privatisation et les tarifs de l’eau, sur le retour de l’énergie nucléaire et sur l’immunité dont bénéficieraient les membres du gouvernement. Au-delà des sujets concernés il s’agit avant tout d’un vote sanction pour Silvio Berlusconi qui aura bien du mal à gouverner l’Italie jusqu’en 2013. Le problème est que pour l’instant il y a si peu d’alternatives crédibles que certains pensent à aller sortir de sa retraite Romano Prodi, dont le passage au Quirinal avait été si peu probant qu’il avait ouvert la voie au retour de Berlusconi au pouvoir. Rarement en tout cas un gouvernement aura suscité pareil phénomène de rejet alors même que l’économie italienne se porte plutôt bien tirée comme d’habitude par le « made in Italy » et le luxe même s’il y a de plus en plus de chinois dans des hauts lieux des districts italiens comme Prato.

             Quoi qu’il en soit, après la Suisse et l’Allemagne, l’Italie aura donc elle aussi renoncé au nucléaire…

 

15 juin

             Alors que l’Italie peine à imaginer un avenir post-Berlusconien, la Belgique vient de fêter le plus curieux des anniversaires : un an sans gouvernement responsable devant le Parlement, un an avec seulement un roi et des ministres expédiant les « affaires courantes ». Même si les agences de notation commencent à froncer les sourcils, force est de constater que le pays ne s’en porte pas plus mal. Certes une bonne partie de la gestion quotidienne est assurée par les gouvernements des trois régions (Flandres, Wallonie et Bruxelles). Mais l’art du compromis belge a fait merveille durant la présidence européenne du second semestre 2010. Déchargés de leurs soucis politiques immédiats, les ministres en charge ont su aller à l’essentiel et cette situation improbable pourrait durer encore quelques mois, car les sondages, en cas de nouvelles élections, font craindre une aggravation des clivages et un renforcement même de l’aile flamande dure, celle qui plaide ouvertement pour la disparition de la Belgique.

             Cette curieuse année de cohabitation aura en tout cas montré l’importance d’une autorité morale neutre, ici la monarchie. Elle aura aussi relativisé, dans l’Europe du XXIe siècle les marges de manœuvre d’un gouvernement qui peut presque fonctionner en « pilotage automatique » (la « fin de l’histoire » chère à Hegel en quelque sorte). Malheureusement, elle a mis en évidence les dangers du nationalisme le plus étroit, plus bête que la plus bête des plaisanteries belges.

 

16 juin

             À Bruxelles, Nicolas Sarkozy a fait très fort en parlant d’éradiquer les « mafias » qui dominent les marchés de matières premières. Je ne suis pas sûr que ce genre de mise en condition pour le G20 soit des plus efficaces, mais cela fait partie du charme du personnage. Il est vrai que sur un sujet complexe, il est facile pour un politique de fustiger spéculateurs et autres négociants.

             À Genève se tient justement un colloque sur le financement du négoce international de commodités. En quelques années, Genève est devenue la plaque tournante mondiale des activités de négoce et les plus grandes entreprises de la planète y sont présentes. Lors d’un dîner avec les directeurs financiers des plus importantes d’entre elles, nous discutons des changements intervenus ces dernières années dans la nature même de la spéculation. Celle-ci a toujours existé sur les marchés « à terme », mais le fait le plus déstabilisant a été, à côté des fonds d’investissements classiques, l’arrivée de nouveaux acteurs issus de « Wall Street » à l’image de Goldman Sachs ou de Morgan Stanley qui ne font pas de négoce, mais du « trading pour compte propre » c’est-à-dire en fait de la spéculation avec un pouvoir d’influence non négligeable sur les marchés. Tous mes interlocuteurs sont d’accord pour souhaiter en Europe au moins un peu plus de transparence et de régulation. Car ce qui leur importe c’est de faire du physique et non du papier.

 

17 juin

             La Grèce fait à nouveau la Une malheureuse de l’actualité. La note de la dette grecque ne peut plus guère être dégradée tant elle est basse. Tous les « médecins » penchés sur le patient prônent un traitement de cheval à base de ventes d’actifs, d’économies budgétaires et d’augmentation d’impôts. Le problème est que le patient a pris depuis longtemps de bien mauvaises habitudes avec une administration pléthorique et inefficace, un secteur public encore très important, une évasion fiscale érigée en institution, l’économie grise pesant 20 à 30 % du PIB, et des dynasties politiques (les Caramanlis et les Papandréou) totalement irresponsables. Soyons honnêtes, tout cela n’est pas nouveau et il est stupéfiant que les dirigeants européens se soient réveillés aussi tard après avoir accueilli la Grèce au sein de la zone euro. Les torts sont au moins partagés, l’irresponsabilité aussi grande d’un côté que de l’autre et on ne peut que sympathiser avec les « Grecs de base » qui manifestent dans les rues d’Athènes en oubliant quand même ce que l’Europe a pu leur apporter.

             Oublions la sortie de l’euro qui serait un crime politique. La seule solution est celle de la restructuration de la dette avec la participation des créanciers privés. En échange, l’Europe devrait prendre en charge la gouvernance grecque en allant même jusqu’à mettre sous une sorte de protectorat les finances publiques grecques. Le risque là est de frapper trop fort et trop tard. Quelle galère grecque!

 

18 juin

             Il pleuvait sur Lamballe en Bretagne, dans les Côtes-d’Armor, où se tenait l’Assemblée générale de la plus grosse coopérative française de producteurs de porcs. Dans le monde agricole, les assemblées générales de coopératives ou de syndicats sont une occasion festive et conviviale dans une vie de travail le plus souvent solitaire. Ils étaient ainsi cinq à six cents dans la salle des fêtes avant la traditionnelle « galette-grillade ».

             La conjoncture est difficile pour les producteurs de porcs. En un an, le cours de l’aliment a augmenté de 64 % alors que le prix de la carcasse n’a fait que 16 % et que plus en aval les prix de détail n’ont pas bougé. L’éleveur se trouve étranglé et ce, d’autant plus que les élevages porcins sont soumis à de multiples contraintes qu’il s’agisse d’environnement, d’hygiène ou de bien-être des animaux. Nombre d’exploitations sont sur le fil du rasoir voire déjà en train d’abandonner. Au moment des questions, un ancien président s’indigna : « Je vous trouve bien calmes. De mon temps, nous aurions manifesté à Paris ou à Bruxelles et nous aurions déversé du lisier aux portes des préfectures ». C’est vrai que les temps ont changé : l’agriculture ne dispose de presque plus de poids politique (à Lamballe, le député local, Marc Lefur, était présent, mais c’est là presque une exception) et les paysans sont ressentis comme des sources de nuisance qu’il faut contrôler et encadrer. Il est loin le temps de la « révolution silencieuse » des années soixante. Le problème maintenant c’est de négocier avec la grande distribution plutôt que de prendre d’assaut les préfectures.

 

19 juin

             Pas de bar dans le TGV aujourd’hui : le personnel chargé de préparer les conteneurs de nourriture et de boissons était en grève. Hier, à l’Opéra Bastille on donnait Otello de Verdi. Renée Fleming y fut une admirable Desdemone dans un opéra en costumes certes, mais sans décors du fait d’une grève-surprise des syndicalistes de Sud… Dans le premier cas, les passagers du TGV ont jeûné, dans l’autre l’Opéra de Paris a remboursé les spectateurs qui ne voulaient pas se satisfaire d’une simple version de concert.

             Bien sûr, le voyageur-spectateur peut s’indigner, mais on a beau jeu de lui rappeler que le droit de grève fait partie des grands acquis des luttes sociales de la révolution industrielle sur lesquels il n’est pas question de revenir. Il y a pourtant quelque différence entre l’un et l’autre cas. Le personnel de restauration ferroviaire (qui n’a pas le statut de la SNCF) réalise un travail pénible et peu gratifiant pour des minima salariaux rarement dépassés : l’indigence des produits proposés est telle que le client souffre tout autant que l’employé chargé de les vendre. À l’inverse, le machiniste à l’Opéra est un des fonctionnaires les mieux payés et les plus protégés de France (ce qui explique le déficit abyssal de l’Opéra de Paris comblé par le contribuable). Il participe aussi à une création culturelle dont il devrait se sentir un peu responsable. Ce n’était manifestement pas le cas hier. Mais tout le monde n’exploite pas les mêmes rentes!

 

20 juin

             Débat à la télévision avec Alain Cotta, l’un des économistes français les plus eurosceptiques au moins en matière monétaire. Pour lui la crise grecque est la première étape de l’implosion monétaire de l’Europe. De la Grèce, il pense qu’elle ne sera jamais capable d’accepter quelque austérité que ce soit et que la seule solution est de faire de l’euro une monnaie non plus unique, mais commune, de revenir au fond au vieux serpent monétaire dont il serait facile de décrocher et donc de dévaluer. Sur la Grèce nos analyses sont au fond assez proches, car la mise en place d’un protectorat financier européen en Grèce paraît bien difficile à imaginer (c’est ce que les Britanniques et Français avaient fait à la fin du XIXe siècle en Égypte, mais ce sont là d’autres temps). Dans cette affaire, les responsabilités européennes sont évidentes et il est logique que les créanciers en assument quelque charge.

             Mais je me refuse à cet abandon en rase campagne de la construction monétaire européenne. Certes celle-ci est inachevée, mais le verre est à moitié plein et non à moitié vide comme le suggère Alain Cotta. Que dirions-nous à nos enfants, à cette merveilleuse génération Erasmus pour laquelle l’Europe est une réalité quotidienne? Que leurs parents ont eu peur, ont battu en retraite face aux nationalismes, aux égoïsmes et n’ont su construire que le monstre froid d’une Europe de la concurrence. Aller de l’avant ou reculer piteusement, le choix est clair.

 

21 juin

             Il y a un peu moins de quarante ans, trois étudiants de première année d’HEC rencontraient un entrepreneur qui venait d’introduire sa jeune entreprise en bourse. Dix ans plus tôt, il avait ouvert à Sainte Genevieve des Bois le premier hypermarché français baptisé Carrefour. Marcel Fournier nous reçut avec la bonhommie souriante d’un autodidacte dans des bureaux situés dans des entrepôts de la région parisienne.

             Carrefour est devenu le deuxième distributeur mondial, l’une des grandes réussites françaises à l’international, l’inventeur de nouveaux concepts de l’hypermarché à la française aux « produits libres » sur lesquels Agnès, mon épouse, fit son mémoire de marketing en 1976. Marcel Fournier est mort, les familles fondatrices ont perdu tout contrôle de leur entreprise et préfèrent optimiser leurs statuts d’expatriés fiscaux. Carrefour est désormais géré par des « managers » issus des meilleures écoles internationales et surtout son capital est désormais dans les mains de prudents investisseurs institutionnels et de quelques fonds activistes : 15 % notamment pour Arnault et Colony Capital. Ces derniers ont perdu à peu près la moitié de leur mise initiale dans leur investissement sur Carrefour. Alors ils veulent sortir et récupérer « leurs billes ».

             Aujourd’hui l’Assemblée générale de Carrefour a entériné la vente de l’une des pépites de l’entreprise (Dia) par le biais d’une mise sur le marché dont les revenus seront affectés aux actionnaires. Cette prise de contrôle insidieuse par des actionnaires minoritaires sonne probablement le glas de l’aventure commencé par Marcel Fournier en 1962. Dommage!

 

22 juin

             Remontons encore le temps : il y a quarante-deux ans, je passais le bac à Bordeaux. En dehors d’un 18 en latin obtenu sur le De Natura Rerum de Lucrece, je n’ai guère à me vanter et je fus même reçu d’extrême justesse au repêchage. Aujourd’hui où les grands lycées ramassent les mentions TB à la pelle, j’aurais été la honte de mon établissement.

             Mais un an plus tôt en 1968, j’aurais eu la « chance » de ne passer que l’oral. Que va-t-il se passer avec ce cru 2011 alors qu’une partie de l’épreuve de mathématiques de la série S vient d’être annulée pour fraude, un « scan » du sujet ayant circulé sur quelques sites. Épreuve du XIXe siècle (le titre universitaire de bachelier est beaucoup plus ancien et à l’étranger correspond toujours à trois – bachelor – ou même cinq ans d’études supérieures), le baccalauréat est ainsi victime des technologies du XXIe siècle. Comment parvenir à maintenir la sécurité totale d’un processus concernant près de 800 000 candidats à l’heure des photos numériques, des scanners, des réseaux sociaux… Au quotidien, à l’université nous sommes confrontés aux fraudes qu’il s’agisse de téléphones/encyclopédies portables, ou de passages entiers de mémoires « réutilisés ». Désormais d’ailleurs pour mes propos examens je pose des questions de réflexion avec accès à tous les documents.

             Et pourtant le « bac » conserve dans la société française toute son aura et au fond à juste titre. Le supprimer serait renforcer un peu plus le privilège de classe des beaux quartiers et de leurs mentions TB. Il faut au contraire penser à ceux qui ne l’auront pas et pour lesquels il reste une porte fermée : à ouvrir, mais sans tricher.

 

23 juin

             Pour la première fois, une réunion du G20 a été consacrée à l’agriculture : les ministres de l’agriculture du G20 viennent de se réunir à Paris. Le seul fait que ce sommet ait eu lieu est en soi une victoire. On se contentait d’habitude des réunions de la FAO à Rome qui ne suscitait guère d’intérêt tant cette organisation internationale était discréditée.

             Comme d’habitude, le communiqué final est un subtil mélange de bonnes intentions et de mesures concrètes. L’accent est mis sur la nécessité d’augmenter la production agricole et donc d’investir. C’est du bon sens, mais il est important de le dire même si l’on peut regretter qu’il n’y ait rien sur le soutien aux politiques agricoles dans les pays les plus pauvres. De manière concrète, un système d’information sur les marchés agricoles va être créé et hébergé à Rome par la FAO, ce qui n’est malheureusement pas un gage d’efficacité future… On prévoit aussi de se parler un peu plus pour éviter des décisions unilatérales trop hâtives comme l’embargo céréalier russe d’août 2010. Sur le thème très attendu de la spéculation et de sa régulation, les ministres de l’Agriculture ont fort sagement botté en touche et renvoyé la question aux ministres des Finances!

             Alors, encore un sommet pour rien disent déjà les ONG et les critiques de tout poil. Il faut au contraire – pour une fois – saluer l’initiative française : l’agriculture a été remise au sommet de la pile des grands problèmes mondiaux. Pendant quelques heures, on s’est rappelé que nourrir le monde est le défi majeur de l’humanité au XXIe siècle. C’est cela l’essentiel.

 

24 juin

             Le petit bourg de Florensac dans l’Hérault est en deuil. Un enfant de 14 ans a tué au cours d’une dispute une « gamine » de 13 ans pour quelques histoires d’amour qui avaient dégénéré. Enfant, gamin, j’emploie à dessein ces mots même si la réalité des adolescences de plus en plus précoces dépasse quelque peu les adultes.

             À 13 ans aujourd’hui, l’enfant n’en est plus un conditionné qu’il est par tous les moyens de communication auxquels il a accès à partir de la télévision certes, mais surtout du « portable » qui ouvre la porte des réseaux sociaux, des « chats »… La reproduction du monde des adultes devient alors un jeu auquel il est difficile d’échapper et que bien souvent les parents eux-mêmes encouragent. Être parent aujourd’hui est infiniment plus complexe et subtil qu’il y a seulement une dizaine d’années. À ces moments clefs de l’adolescence, la gestion de la mixité peut être difficile tant filles et garçons peuvent avoir des « âges » différents. Triste histoire donc qui a brisé au moins deux vies.

             Mais ce qui est frappant, c’est la réaction de nombre de parents de Florensac qui s’en sont pris au collège, à son proviseur et à ses enseignants. Certains parlent même de porter plainte! Or dans cette dispute d’adolescentes ce qui ressort en réalité c’est au contraire l’abdication des parents. Accuser l’école n’est-ce pas trop facile? Sa mission première est d’instruire; elle ne peut éduquer seule en l’absence d’un rôle actif de la cellule familiale. Au-delà de ce drame, on touche là les racines mêmes de l’échec scolaire et social qui est un des grands problèmes majeurs de la société française. Voilà la leçon de Florensac. Pauvres enfants.

 

25 juin

             Il fait très chaud aujourd’hui en Charente. Cette chaleur lourde, mais pas orageuse me rappelle les étés de mon enfance lorsque dans la maison d’Aunac, notre village sur les bords de la Charente, tout s’arrêtait dans la fraîcheur des volets clos en attendant que vers quatre heures les grands-mères nous donnent l’autorisation d’aller nous baigner dans la rivière. Le soleil se réfléchit sur les maisons et les murs de pierre, cette pierre charentaise si blanche, ce calcaire qui chante avec ses incrustations de fossiles et d’ammonites.

             Les villages sont simples, ordonnés autour de leur église le plus souvent romane avec des clochers carrés et trapus. On est là en vieille terre de chrétienté, au cœur aussi des combats des guerres de religion, ce qui explique la présence de nombre de forteresses renforcées au XVIe siècle comme le merveilleux château de Villebois-Lavalette qui appartint au duc d’Epernon, un des mignons d’Henri III et qui domine la campagne alentour du sommet de sa motte féodale.

             Ce bout de Charente, aux confins du Périgord, est à l’écart des grands axes touristiques. Mais quelle simple beauté à l’image de l’infinie diversité des patrimoines français, de ces paysages travaillés pendant plus de deux millénaires par la main de l’homme et menacés aujourd’hui par la perte de substance de territoires qui se vident peu à peu. Que c’est beau la France!

 

26 juin

             Avec la sécheresse, les moissons ont commencé beaucoup plus tôt cette année. En Charente et dans le Poitou, elles sont déjà presque terminées; on croise des tracteurs allant livrer le grain dans les silos des coopératives et les champs sont parsemés de balles de paille, une paille qui vaut « de l’or », près de cent euros la tonne, c’est-à-dire presque autant que le blé l’année dernière. Bien sûr, les rendements sont moins bons (13 quintaux à l’hectare de moins en moyenne pour la France), mais les prix restent très rémunérateurs même en tenant compte de la baisse de ces derniers jours (on est à moins de 200 euros la tonne). L’année ne devrait pas être trop mauvaise… Par contre que les prairies sont sèches et jaunes. Dans cette région d’élevage de vaches allaitantes Limousines ou Blondes d’Aquitaine, les pâtures sont en piteux état alors que le gros de l’été est devant nous. Le risque est grand de voir des éleveurs devoir vendre une partie d’un cheptel qu’ils ne peuvent plus nourrir provoquant un peu plus la chute des cours. La simple lecture de ce paysage charentais illustre le vieux conflit entre les agriculteurs et les pasteurs, sédentaires et nomades! Mais nous ne sommes pas en Afrique.

 

27 juin

             Conférence de presse pour la remise du premier rapport au Parlement de l’Observatoire de la Formation des Prix et des Marges agricoles que je préside. Le rapport a « fuité » et fait ce matin la « Une » des Échos alors même que je le remets aux deux ministres de tutelle. Résultat, la salle de presse est comble – et chaude, car il fait 40° ce jour-là à Paris. Il est vrai que le sujet, celui des prix agricoles et alimentaires, intéresse le grand public.

             Un observatoire bien sûr doit constater et non condamner et je me livre à un véritable exercice de « langue de bois » en laissant aux lecteurs le soin de trouver entre les lignes le « coupable » éventuel. Ceci étant, ce qui apparaît clairement c’est la position dominante de la grande distribution dont les marges brutes représentent de 30 % à 60 % du prix payé par le consommateur. On parle là bien sûr des marges brutes et il faut tenir compte de toutes les charges et freintes subies par les distributeurs. Il n’en reste pas moins que sur des produits simples comme la brique de lait UHT, la plaquette de beurre, ou la tranche de jambon sous cellophane, les rapports de force sont largement en faveur des distributeurs dans un contexte français très particulier. Et puis, une des conclusions que personne ne conteste est le fait que ces prix ne parviennent pas à rémunérer les producteurs même en tenant compte des aides nationales ou communautaires. Notre rapport est un pavé dans une mare beaucoup plus profonde qu’on ne le pense!

 

28 juin

             Il y a deux mois Dominique Strauss Kahn était confronté à un choix cornélien : le FMI ou la candidature socialiste à la présidence de la République. Deux femmes viennent aujourd’hui de le remplacer dans cette fonction et dans cette aspiration : Christine Lagarde et Martine Aubry.

             En très peu de temps, Christine Lagarde s’est imposée comme la candidate la plus naturelle au FMI. Pris de court les pays émergents n’ont pas eu le temps de se mettre d’accord sur un « nom » crédible : le gouverneur de la Banque du Mexique, le seul adversaire final de Christine Lagarde, apparaissait trop inféodé aux États-Unis. Alors Chinois et Indiens se sont ralliés à la candidature européenne d’une avocate qui a fait l’essentiel de sa carrière aux États-Unis et qui vient de réaliser un quasi « sans-faute » à Bercy en pleine tourmente financière et monétaire. Pas mal pour quelqu’un qui rata deux fois l’ENA!

             La décision de Martine Aubry était aussi très attendue et au PS au moins on va se livrer à un duel… d’énarques puisque la primaire devrait rapidement se limiter à un affrontement Aubry-Hollande. Là où DSK avait une voie royale devant lui, Martine Aubry, favorite de l’appareil, ne l’est pas des militants socialistes. Mais l’exercice des primaires est nouveau et peut réserver maintes surprises. Une chose est sûre en tous cas, DSK est oublié, relégué à la page des faits divers.

 

29 juin

             Un ministre s’en va, il faut le remplacer. En pleine crise grecque, alors que la croissance patine dans les pays développés et que la nervosité domine sur les marchés, alors aussi que la France préside le G20 avec un programme très ambitieux, que vont peut-être enfin se terminer les négociations du cycle de Doha, on aurait pu penser que les choix gouvernementaux se seraient portés sur des ministres disposant d’une véritable surface à l’international. C’était là oublier que la priorité est désormais celle des élections de 2012.

             Sans porter de jugement sur les hommes, le résultat du remaniement intervenu aujourd’hui est pour le moins paradoxal. Le nouveau ministre de l’Économie n’a aucune expérience de l’international et ne maîtrise même pas l’anglais, ce qui n’était pas un handicap au temps de René Monory mais qui est aujourd’hui une faiblesse. Le jeu de chaises musicales qui a suivi obéit de la même manière à des impératifs de politique intérieure (UMP, centristes, femmes…) pour des ministères importants (Europe, Universités) dont les nouveaux titulaires laissent parfois rêveurs. Et que dire du judoka David Douillet en charge des Français de l’étranger…

             Seule consolation, Bruno Lemaire reste à l’agriculture. Il est certainement déçu, mais la situation agricole et les négociations en cours méritaient qu’il reste.

 

30 juin

             Le Maroc s’apprête à voter. Il s’agit là d’un vote historique portant sur la constitution proposée par le roi et qui vise à acheminer peu à peu le pays vers une monarchie constitutionnelle. Au moment où la guerre civile se poursuit en Libye et surtout où les manifestations reprennent de plus belle sur la place Tahrir au Caire et puis aussi à Dakar, alors que la répression s’abat sur la Syrie et que l’incertitude la plus totale règne au Yemen, il est de bon ton sur la rive gauche parisienne de brocarder les efforts réels mis en œuvre par « M6 » (Mohammed VI) pour faire évoluer son pays. Certes la rédaction de la Nouvelle Constitution n’a pas vraiment fait l’objet d’un débat démocratique, certes le roi conserve à peu près l’essentiel de ses pouvoirs régaliens et le jeu politique continuera à dépendre de son bon vouloir, mais la séparation des pouvoirs est celle que pratiquent la plupart des démocraties.

             Et puis me font remarquer quelques amis marocains rencontrés aujourd’hui à Casablanca, ne faut-il pas tenir compte de la réalité d’une pratique politique émiettée en de multiples partis rappelant fâcheusement la IVe République française. À bien des égards, la Constitution marocaine est proche de la Constitution française de 1958 taillée à la mesure du Général de Gaulle. Le véritable enjeu sera demain le pourcentage de votants parmi les 13 millions d’électeurs. Mais voilà déjà le plus beau résultat du printemps arabe.