1er juillet
Le 1er juillet 1921, il y a donc quatre-vingt-dix ans, dans la concession française de Shanghai était fondé le Parti communiste Chinois. Dix ans plus tôt, le dernier empereur avait été contraint à l’abdication et la République vacillait alors que les seigneurs de la guerre fourbissaient leurs armes. La Chine était alors en un des points les plus bas de son histoire et l’Empire du Milieu qui deux siècles plus tôt pesait le tiers de l’économie mondiale en représentait dix fois moins. Le Traité de Versailles même s’il reconnaissait formellement la République, consacrait aussi le démantèlement de l’Empire, les « colonies » allemandes étant attribuées au Japon. Quant au jeune Parti communiste, il s’alignait comme presque partout ailleurs dans le monde sur le grand frère soviétique.
Celui-ci a sombré corps et biens en 1991 tout comme la plupart de ses semblables (Corée du Nord, Cuba et Vietnam exceptés) à moins que d’être réduit à l’état de groupuscules comme en France où en 2012 le parti communiste ne présentera même pas de candidat à la présidentielle. Tout autre est l’histoire du PCC qui tient fermement les rênes de l’économie et de la société chinoises et dont il gère avec habileté l’évolution. Devenu pour certains une sorte de « Rotary Club » à l’usage des élites chinoises, il n’en reste pas moins un parti unique, expert en transitions non démocratiques qui a su éviter le culte de la personnalité postmaoïste tout en concentrant le pouvoir au sein de quelques dynasties. La Chine ressemble au fond à une sorte de démocratie athénienne. Curieux destin pour un parti communiste !
2 juillet
Quel télescopage d’événements en ce samedi d’été et de soldes dans les rues parisiennes ! Il y avait d’abord un mariage princier à Monaco : beaucoup moins chic que le mariage britannique avec – il est vrai – un prince quinquagénaire dont les frasques discrètes n’en étaient pas moins réelles. Mais le personnage est sympathique même si son petit état ne l’est guère : Monaco est en effet un paradis fiscal, un de ces parasites qui discrédite l’économie mondiale et dont la prolifération peut pousser un économiste libéral à embrasser les thèses des plus rigides des altermondialistes. Depuis 2008 d’ailleurs, Monaco ne s’est guère amendé et derrière cette principauté d’opérette se cachent toujours les flux financiers les moins avouables.
A New York, au même moment, coup de théâtre dans l’affaire DSK : la femme de chambre du Sofitel n’était pas une oie blanche et les pires soupçons pèsent désormais sur elle. DSK s’en trouve blanchi et déjà toute la gauche française s’interroge – s’inquiète pour certains – à propos d’un retour possible. Gardons-nous de juger et encore moins de condamner, mais on peut quand même trouver quelque injustice au sort de DSK alors que s’ouvre le Tour de France…
Au départ en Vendée aujourd’hui le favori de la « grande boucle » est Alberto Contador, condamné pour dopage ; son dossier sera examiné après le Tour ce qui va gâcher sans nul doute la grande fête de ces trois semaines cyclistes. La justice américaine fonctionne mieux que celle du cyclisme !
3 juillet
C’était il y a trente-cinq ans dans une petite église aux confins du Béarn et du Pays Basque, sur le chemin de Saint-Jacques, une église marquée d’ailleurs d’influences mauresques, à l’Hôpital Saint-Blaise. Agnès et moi nous y sommes mariés, nous avions vingt-cinq ans. L’un et l’autre derniers de nos familles, nos parents ne sont plus là pour célébrer cet anniversaire, eux qui avaient organisé la cérémonie et puis la fête dans la propriété familiale de Bidos, près d’Oloron Sainte-Marie au début de la Vallée d’Aspe. Il faisait chaud ce jour-là : c’était en 1976 l’année de la canicule et du premier « impôt sécheresse » sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing. On parle aussi de sécheresse en 2011, 35 ans plus tard.
Que dire de ces trente-cinq années : beaucoup de bonheur, enfants et petits-enfants et puis comme pour beaucoup de couples des hauts et des bas, mais des bas dont on sort plus fort parce que l’on sait que l’on chemine ensemble dans la même direction. La vie de couple n’est pas un « long fleuve tranquille », elle est une aventure difficile, mais renoncer – c’est-à-dire divorcer – au premier cahot serait absurde : on construit lentement brique après brique quitte à démolir parfois.
Il me semble que c’était hier à l’hôpital Saint-Blaise lorsque Bruno lisait l’épitre que nous avions choisi : l’admirable hymne de Paul : « Si je n’ai pas l’amour… »
4 juillet
Début à Dauphine des entretiens de sélection du Master Affaires Internationales connu sous son numéro, « le 212 ». Nous avons déjà éliminé la moitié des candidats qui avaient composé un mémoire sur un sujet imposé (cette année, il y avait le choix entre « Faut-il interdire la spéculation ? » et « La Chine chance et menaces pour l’Occident »). Nous allons cette semaine recevoir quatre-vingts candidats et n’en retenir que la moitié.
Chaque année, je suis un peu plus émerveillé par la qualité des dossiers que nous recevons, par la diversité des itinéraires, par la variété des expériences et des engagements. Et cela est particulièrement vrai de la part de ceux qui sont passés par les rangs de l’université. Certes, le système des classes préparatoires et des grandes écoles écrème dans une logique de sélection par l’échec. Mais la plupart des jeunes rencontrés aujourd’hui sont une belle illustration de réussites universitaires et pas seulement à Dauphine. Comme il est frappant de constater la montée en puissance au fil de leurs années d’études de candidats qui à dix-huit ans flirtaient à peine avec la moyenne. L’université peut être une merveilleuse école de la vie, la plus ouverte aussi sur les inégalités à condition que les enseignants y mettent du leur et se considèrent avant tout comme des « passeurs » vers le monde professionnel. Passeur, voilà notre métier.
5 juillet
Le Tour de France parcourt les routes de Bretagne. Les routes y sont bien peu vallonnées et la modeste côte de « Mur de Bretagne » y prend des allures de Tourmalet. Ce sont des étapes propices aux échappées de quelques « soutiers » désireux de montrer le maillot. Le peloton les laisse espérer pendant une centaine de kilomètres ou plus avant que les équipes de sprinters ne commencent à rouler, les rattrapent dans les derniers kilomètres et que l’affaire ne se règle entre quelques costauds capables d’emballer un sprint.
Cette année, le Tour est toujours aussi international : le maillot jaune est pour l’instant norvégien ; hier, l’étape a été emportée par un américain ; le favori reste espagnol et au fond ce sont les français qui restent à la portion la plus congrue.
Mais ceci n’entame pas l’enthousiasme breton. Le cyclisme, bien plus que le football, est le sport populaire de la France rurale, celle que l’on parcourt au fil des retransmissions télévisées des étapes. Pour chaque village traversé en quelques secondes par la caravane publicitaire puis le peloton, c’est un jour de fête et les routes sont bordées de spectateurs venus parfois s’installer dès la veille aux endroits les plus stratégiques.
Les critiques ne manquent pas pour fustiger le dopage (mais de quel sport est-il vraiment absent ?) pour se gausser d’un sport dont l’intelligence semble absente, mais le cyclisme c’est avant tout le sport des petits et des humbles, de ces équipiers qui s’illustrent aujourd’hui sur les routes bretonnes que le Tour fait briller comme jamais.
6 juillet
Une nouvelle fois une candidature française aux Jeux olympiques vient d’échouer : cette fois, il s’agissait de celle d’Annecy aux Jeux d’Hiver 2018. Le CIO réuni à Durban a préféré une ville coréenne qui a d’ailleurs aussi éliminé Munich.
Les Jeux olympiques sont devenus un des rites incontournables de l’actualité internationale. C’est l’occasion pour le pays hôte de faire étalage de sa puissance, de symboliser son ouverture sur le monde. Ce fut ainsi le cas de Tokyo en 1964 (le retour du Japon), de Séoul en 1988 (le premier pays émergent) et bien sûr de Pékin l’année dernière.
Moins marchandisés, avec des sports plus confidentiels, les J.O. d’hiver échappaient jusqu’à ces dernières années à ces dérives et donnaient l’illusion de rester plus « authentiques ». Manifestement, ce n’est plus le cas : après Sotchi, la station balnéaire préférée de Staline, voici donc Pyongchang en Corée du Sud, bien loin du cœur des sports de neige et de glace. Désormais peuplé d’apparatchiks vivant sur leur fromage sportif, le CIO a cependant probablement rendu un fier service à la région d’Annecy.
Pour une exposition médiatique de quelques jours, l’organisation de Jeux olympiques implique des dépenses considérables, certaines utiles (infrastructures), mais d’autres bien difficiles à rentabiliser et même à utiliser au-delà de la durée des Jeux. Soyons francs, en ces temps de disette budgétaire et de déséquilibres financiers, avons-nous les moyens de ces plaisirs éphémères ? Méditons l’exemple malheureux des Jeux d’Athènes – là où tout avait commencé – dont la Grèce ne s’est jamais remise.
7 juillet
Les rebonds de l’affaire DSK continuent à faire la Une de l’actualité. À New York, il semble bien que le procureur Cyrus Vance Jr se livre à un ultime baroud d’honneur. Sauf nouvel imprévu majeur, tout cela devrait se terminer en non-lieu. En France, par contre, une journaliste vient de porter plainte pour une affaire plus ancienne, déjà connue des médias et dont le calendrier de l’annonce a de quoi laisser perplexe : on a du mal à y voir autre chose qu’un effet d’aubaine…
Christine Lagarde étant bien accrochée au FMI, le seul retour possible de DSK est en France comme un chien dans un jeu de quilles des primaires du PS. Celles-ci commençaient à s’organiser sans lui autour d’un « mano à mano » entre François Hollande et Martine Aubry. Pour la première fois aujourd’hui un sondage (CSA) a désigné François Hollande comme personnalité politique préférée des Français, ce qui ne veut pas dire des socialistes qui se rendront aux primaires. Martine Aubry tient en effet l’appareil y compris dans ses recoins les moins recommandables comme les Bouches-du-Rhône. Plus personne en réalité n’attend vraiment DSK.
Le meilleur des scénarios – pour lui me semble-t-il – serait de se retirer du jeu au moins pour cette échéance, de se draper dans sa toge et d’observer de loin les joutes françaises afin de mieux revenir dans la figure du vieux sage de référence comme on les aime tant en France, qui abondent à droite, mais dont la gauche est orpheline à l’exception peut-être de Rocard. Et puis il pourrait devenir un recours suprême que viendraient chercher des Français repentants. Belle revanche.
8 juillet
Dauphine est en fête. Notre université vient d’obtenir l’un des trois labels d’initiative d’excellence attribué par un jury international aux projets de regroupement les plus cohérents pour peser dans le désormais célèbre classement de Shanghai. Le projet se nomme “Paris Sciences et Lettres” et a l’originalité de regrouper de “petites” institutions de prestige : Dauphine doit être la plus “grosse” (8000 étudiants) car c’est la seule université mais on trouve une quinzaine de membres comme l’école Normale Supérieure (rue d’Ulm), le Collège de France, Physique et Chimie de Paris, mais aussi les Arts Décos, ainsi que les Conservatoires Nationaux de Musique et d’Art Dramatique. Ce catalogue à la Prévert a séduit par son originalité au côté des universités regroupées de Strasbourg et de Bordeaux (curieusement on recolle les morceaux de ce que l’on avait cassé après 1968). A la clef, il y a d’importantes subventions issues du Grand Emprunt et qui marquent un effort incontestable en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Il y a pourtant dans “PSL” quelque chose d’artificiel qui m’inquiète : chacune de ces institutions éparpillées aux quatre coins de Paris a une forte personnalité et ce qui sur le papier peut impressionner quelques chinois ne doit pas faire illusion. Une université c’est avant tout une communauté en un lieu. Peut-on bâtir sur des réseaux virtuels en se limitant d’ailleurs à la recherche. J’avoue avoir quelques doutes, ceux d’un mandarin qu’il faut bousculer.
9 juillet
A Londres va être publié demain le dernier numéro de “News of the World”. Ce n’est pas là une grande perte même pour une presse britannique qui a depuis longtemps repoussé les frontières du tolérable. Le News of the World était un mélange du France Dimanche de la pire période et de Points de Vue matiné de Gala : un vrai programme !
Mais il appartenait aussi à l’univers très particulier de la presse britannique a bâti sa réputation sur une indépendance farouche. Certes NOW appartenait à Rupert Murdoch, un magnat dont la puissance a peu d’équivalent dans une histoire britannique qui n’a pourtant jamais été avare de barons de la presse. Mais, Murdoch ou pas, la presse britannique a toujours entretenu un mordant infiniment supérieur à son homologue française. Ceci est vrai dans le champ politique mais aussi dans le domaine économique : on ne manipule pas la presse à Londres comme on peut – parfois – le faire à Paris. Ainsi le meilleur article écrit sur le “Probo Koala”, ce navire poubelle qui empoisonna Abidjan et qui avait été affreté par une société de négoce, Trafigura, contrôlée par des Français, fut publié par le “Guardian”, un quotidien du centre gauche alors que la presse française demeurait bien silencieuse.
Du News of the World au Guardian (mais on pourrait aussi citer “The Economist”) il y a bien sûr un abîme qui pose la question fondamentale des limites à donner à la liberté de la presse. Mais il y a bien là une leçon britannique.
10 juillet
Sur la longue route qui nous mène au Pays Basque, il y a un arrêt que je ne manque jamais : celui du petit cimetierre de Charente où reposent mes parents et en fait toute une partie de ma famille car je cousine avec une bonne partie des caveaux. C’est là un des seuls coins de terre avec lequel me lie pareil sentiment d’appartenance. J’aime ce cimetierre un peu à l’écart du village, clos de mur : au bout de l’allée centrale, la chapelle de notre famille est en pierre blanche que le vent, la pluie et le soleil ont quelque peu entamé ; pas de végétation – il n’y en a jamais dans les cimetierres français – mais les oiseaux ont fait leur nid dans une couronne de plastique remontant à l’enterrement de mon père, il y a dix ans, et que je n’ai pas eu le cœur de jeter par respect pour ces oiseaux et pour mon père qui aimait tant la nature et que ces nids auraient fait sourire.
Mais que de tombes non point à l’abandon mais déjà solitaires. L’exode rural a fait son œuvre ; les familles sont parties abandonnant aussi leurs caveaux à une solitude éternelle. En égrenant mes souvenirs de familles et de figures que j’ai croisées je fais aussi œuvre de mémoire puisque la mort véritable c’est lorsque qu’il n’y a plus personne pour se souvenir que l’on a existé. Ainsi de Gilbert B, un magistrat colonial, ami de mon père, mort il y a une quarantaine d’années sans enfant et dont les neveux se sont hâtés de vendre la propriété. Pour sa mémoire et celle de tous les autres, ma visite a quelque sens.
11 juillet
C’est un des “marronniers” favoris des rédactions estivales : le prix de l’essence au moment où les Français (mais pas eux seuls à en juger par les immatriculations sur l’autauroute A10) débutent leurs grandes transhumance estivale. Depuis quelques jours, les prix ont augmenté sur le marché du pétrole qui cotait ce matin à Londres $ 118 le baril. En quelques jours, le marché a repris dix dollars et l’effet de la libération de 60 millions de barils des stocks de l’AIE s’est totalement estompé. Résultat les prix à la pompe augmentent : hier le litre de diesel valait en moyenne 1,33 euros. Mais cette moyenne cache quand même d’étranges disparités : 1,48 euros à Neuilly et 1,27 euros dans une pompe connue des initiés sur la RN 10 au sud de Poitiers. Sur l’autoroute les prix étaient d’une étonnante convergence entre 1,41 et 1,43 et les grandes surfaces se tenaient entre 1,30 et 1,35.
La formation des prix de l’essence est en France à la fois simple (pétrole, dollars et impôts) et complexe tant il est manifeste que l’on se “parle” quelque peu notamment sur les autoroutes. Le lien avec le pétrole et le dollar est évident mais les élasticités sont parfois troublantes même si la hausse actuelle s’explique par les tensions liées à l’appétit chinois. Mais grâce à Jean-Claude Trichet et à ses hausses de taux, l’euro va probablement se renforcer par rapport au dollar et notre pétrole couter un peu moins cher. Pour un temps du moins.
12 juillet
Eva Joly sera donc la candidate des Verts à la présidentielle. L’échec de Nicolas Hulot était au fond prévisible (facile à écrire après coup…). Malgré toutes ses ambiguïtés, il incarnait une écologie “apolitique” ouverte à tous les courants et dont la place n’était en réalité pas dans l’arène des politiques.
Or ceux qui étaient appelés à voter étaient pour l’essentiel des militants engagés dans la vie politique clairement à gauche. En France, l’écologie politique ne s’imagine qu’à gauche. Malgré quelques efforts risibles (aller soutenir Besancenot pour faits de grève sauvage à la Poste), Hulot se voulait “ailleurs” ce qui pour la plupart des Verts signifiait “nulle part”. Avec Eva Joly au moins les choses sont claires : elle est convertie de fraîche date à l’écologie mais elle a compris qu’elle ne pouvait exister qu’à gauche toute car c’est là qu’elle savait trouver les électeurs de sa primaire.
Coincée entre le parti socialiste et Mélenchon, il n’est pas sûr qu’elle en trouve beaucoup d’autres. Certes Stéphane Hessel était présent à son intronisation mais on peut douter de la convergence des “indignés” de base avec cette représentante d’un parti écologiste qui vient spectaculairement de se replier sur lui-même. Bonne nouvelle au fond car je fais partie de ceux qui pensent que l’écologie est chose trop importante pour en faire une simple politique.
13 juillet
Temps chahuté et mer grosse pour la zone euro qui fait face à un enchaînement de crises qui, en quelques jours, a balayé tout le “club med” : c’est maintenant l’Italie qui est en première ligne alors qu’un scandale affecte son ministre des Finances Giulio Tremonti qui semblait jusque là le seul homme fort d’un gouvernement Berlusconi bien affaibli.
Le plus grave est moins la crise que l’incapacité de la gouvernance européenne de lui trouver non pas des solutions mais au moins de premiers remèdes. C’est l’absence d’Europe qui est le problème majeur, qui se trouve amplifié par l’absence cruelle d’hommes d’état ayant une vision européenne : la chancelière Merkel ne voit guère au-delà de quelques Länder et est manifestement dépassée. Berlusconi n’existe plus, Zapatero est sur la défensive, Cameron n’est pas concerné, il n’y a plus de Belges… A ce petit jeu, Sarkozy apparaît comme le seul à peu près responsable mais il ne peut s’appuyer sur aucun axe stratégique.
L’Europe des pères fondateurs, de la grande génération démocrate chrétienne de l’après-guerre est morte car elle n’existe plus et l’Europe qui lui a succédé, celle des directives et des règlements n’a pas de projet mais un enfant bâtard, l’euro dont elle ne sait comment se débarrasser. Il nous faudra expliquer tout cela à la génération suivante, celle d’Erasmus, celle pour laquelle l’Europe est une évidence. Eux ne sont pas prêts à revenir au mark, au franc ou à la peseta.
14 juillet
Défilé sur les Champs-Elysées sous un soleil voilé, retransmis avec force moyens par plusieurs chaînes de télévision : il y a toujours autant de monde pour apprécier la diversité des uniformes et la précision des manœuvres. La relation entre les Français et leur armée est des plus curieuses : la France n’a jamais été particulièrement militariste et, depuis le Premier Empire, a perdu toutes les guerres dans laquelle elle a été engagée (la première guerre mondiale peut faire exception mais le soutien des Etats-Unis ne fut pas négligeable ; par contre la guerre d’Algérie fut à peu près gagnée, mais sur le terrain seulement). Pourtant la France est la seule démocratie qui organise des défilés militaires le jour de sa fête nationale. On a sacrifié en France d’un trait de plume la conscription et le service militaire obligatoire alors que ce pouvait être un creuset de citoyenneté et le thème du défilé de cette année est justement le service volontaire mis en place outremer. Les moyens humains et matériels des armées se réduisent, des unités ferment, des casernes disparaîssent mais au total 27 000 hommes sont positionnés hors de métropole dont 13 000 en opération, ce qui fait ouvertement parler de surchauffe.
Des grandes institutions qui marquaient la société française du XXe siècle, l’Armée est la seule à avoir conservé une certaine aura : l’Eglise, l’Ecole, la magistrature même se sont banalisées, laïcisées en quelque sorte. L’Armée au contraire a presque retrouvé une deuxième jeunesse et ce 14 juillet est un peu son jour de gloire.
15 juillet
La promotion du 14 juillet de la Légion d’Honneur apporte son lot de mérite, de hasards et d’amitiés. La France est une république et n’a pas comme le Royaume-Uni ou la Belgique la possibilité d’attribuer des titres nobiliaires : il en résulte d’ailleurs une douce pagaille de ce que l’on peut qualifier charitablement de “titres de courtoisie”. Alors en France, la “rouge” (le Légion d’honneur) sert de compensation pour les honneurs de la République. Elle récompense à la fois le “cursus honorum” dans l’administration où l’armée et puis aussi des parcours exceptionnels au service de la collectivité. Depuis peu la parité imposée dans les promotions a privilégié nombre de femmes de qualité trop longtemps laissées dans l’ombre.
Cette année cependant un curieux “hasard” peut laisser l’observateur quelque peu rêveur. Au titre des étrangers, on trouve la promotion au grade d’officier du président de Carrefour, Lars Olofsson. Et puis, Bernard Arnault, la première fortune de France est élevé à la dignité de grand officier. Sans épiloguer sur les mérites particuliers de Bernard Arnault, (il suffit de se souvenir des engagements pris au moment de la faillite Boussac), on peut quand même rappeler que ce même Bernard Arnault, associé à Colony Capital est à l’origine de la destabilisation de Carrefour, de la valse de ses dirigeants et de la vente de certains de ses actifs. Il n’est pas certain que ce fait de gloire mérite d’être récompensé. Mais que cette immense fortune attache quelque importance à cette croix montre bien que fortune et vanité peuvent aller de pair.
16 juillet
Sortie en vélo dans le Pays Basque intérieur. Il n’ya guère de terrain plat et les petites routes ne cessent de grimper puis de descendre et il faut jouer avce subtilité du dérailleur et choisir au bon moment plateau et pignon. Dans les côtes et les petits cols, cela tire même sur le plus petit plateau et on a vite mal aux bras alors que les cuisses durcissent sous l’effort. En fermant un peu les yeux, on peut s’imaginer avec les coureurs du Tour de France.
Justement c’est aujourd’hui la dernière des grandes étapes pyrénéennes, la plus dure aussi : après le Tourmalet avant-hier, l’Aubisque hier, c’est une étape fleuve de cinq cols avec à l’arrivée au plateau de Beille après 16 kilomètres de montée avec une pente moyenne de 7,89 %. Il y a foule sur le parcours, les “bons” emplacements étant occupés depuis au moins la veille. Comme les favoris (les frères Schleck, Contador, Cadel Evans) se marquent, faisant le jeu de l’inattendu maillot jaune français, Thomas Voeckler, c’est un hollandais inconnu qui l’emporte détaché. Il n’a pas battu le record de Marco Pantani qui avait remporté l’étape en 1998 en réalisant la dernière ascension en 43 minutes. Il avait alors développé une puissance de 440 watts qu’un organisme ne peut atteindre sans quelque dopage. En est-il de même aujourd’hui et d’ailleurs où se situe exactement la frontière entre préparation physique optimale et dopage. Les forçats du cyclisme sont montrés du doigt mais c’est bien sûr tout le sport professionnel qui est concerné. Et pour les cyclistes je préfère leur laisser le bénéfice du doute.
Mais que c’est dur de pédaler sur nos montagnes basques !
17 juillet
Caracas s’inquiète de la santé d’Hugo Chavez, de retour d’une opération chirurgicale à Cuba. Au pouvoir depuis 1998, Hugo Chavez incarne la vieille tradition du populisme latino-américain matiné dans son cas de socialisme castriste. Il a d’ailleurs repris le flambeau abandonné par Fidel Castro de l’“anti impérialisme américain”. Arrivé au pouvoir de manière démocratique dans un pays gangréné par la malgouvernance des oligarchies qui s’étaient succédées au pouvoir et qui avaient plongé le pays dans la misère, il a eu la chance de surfer sur la vague pétrolière. En 1998, la baril était à moins de $ 10 et entre 2001 et 2004 il évolua entre $ 15 et $ 25. Et puis ce fut le troisième choc pétrolier : plus de $ 100 le baril à partir de 2007 et à nouveau depuis 2010. Chavez a pu utiliser l’argent du pétrole pour satisfaire toutes ses folies : nationaliser l’économie tout d’abord sans éradiquer pour autant la corruption ni le népotisme ; financer à fonds perdus les causes les plus douteuses ; faire enfin du Vénézuéla un pays d’assistés vivant de et par la manne pétrolière. Certes la situation de la population vénézuelienne est probablement meilleure et même plus égalitaire qu’elle ne l’était avant 1998. Mais quel gâchis et comme les réveils risquent d’être douloureux. Le Venezuela est un des meilleurs exemples de cette malédiction des matières premières qu’ont illustré à leur manière Khadaffi ou Saddam Hussein. Sa folie est différente mais on retrouve la même mégalomanie entretenue par les vapeurs du pétrole. Au moins y aura-t-il en 2012 des élections au Venezuela. Avec ou sans Chavez ?
18 juillet
En 2011, 71,6 % de la génération des Français en âge de passer le baccalauréat ont obtenu ce premier diplôme “universitaire”. On n’est plus très loin des 80 % imaginés par Jean Pierre Chevenement en 1985 (à l’époque on se situait autour de 35 %). Certes ceci a été rendu possible par le développement des bacs technologiques et surtout par la création des bacs professionnels qui ont donné à l’enseignement technique et pratique ses lettres de noblesse. L’évolution est là très positive même si on peut regretter que cela ait pu se faire un peu au dépens du CAP et de l’apprentissage.
Par contre, le taux de réussite en série générale (88,2 %) a de quoi laisser perplexe, tout comme l’extraordinaire augmentation du nombre de mentions TB (que de coups de téléphone ces derniers jours de parents me demandant quelles portes pareille mention pourrait ouvrir à leur progéniture). Au fond le baccalauréat devient une sorte de diplôme ou de certificat de fin d’études secondaires ; la preuve : toutes les formations sélectives (classes préparatoires, IUT, Dauphine…) font leur sélection bien avant l’obtention du précieux parchemin. En soi cette banalisation du bac qui devient un peu l’équivalent du “High school degree” américain peut être une bonne chose : pour une fois, la société française ne sélectionne pas par l’échec. Le seul problème est que le bac est un sésame pour l’université, sans sélection ni orientation. Le “massacre des innocents” aura lieu un an plus tard.
19 juillet
A la rentrée, les manuels de biologie de l’enseignement secondaire vont contenir un chapitre sur l’influence de la société sur l’identité sexuelle. C’est là un écho de débats extrêmement vifs aux Etats-Unis autour de ce que l’on appelle “gender studies” (ou théorie du genre en français). De manière un peu simple, l’idée est que les caractères de l’homme et de la femme sont moins déterminés par leur sexe biologique que par l’image que la société leur en impose. L’enfant serait ainsi programmé pour se comporter en petit garçon ou en petite fille par l’accumulation d’acquis sociaux. “Devenir homme ou femme”, pour reprendre le titre du nouveau chapitre inscrit au programme des élèves de première, serait le fruit d’une construction sociale et non de la différence sexuelle. Au moment même où la ville de New York autorise les mariages homosexuels, on comprend facilement ce que pareil débat peut impliquer.
Pourtant, tout ceci, quelque soit la bonne volonté des uns et des autres, peut laisser rêveur. Père de trois filles, je ne suis pas parvenu à en faire des garçons et mes voitures et autres trains électriques sont restés au grenier. A deux ans, mon petit fils Jules passe des heures au contraire avec ses jouets… de garçon. Comprendre l’autre dans sa différence est essentiel mais il me semble qu’il y a une grâce à être homme ou femme que dépasse et de loin la propagande émanant des milieux homosexuels.
20 juillet
Au milieu du XIXe siècle, la gare de Cannon Street à Londres fut bâtie sur le site de l’ancien comptoir de la Hanse allemande, le “Steelyard”. Aujourd’hui, la gare au bord de la Tamise abrite des bureaux et notamment celui de NYSE-Euronext, le marché à terme des produits financiers et des matières premières (qui passera bientôt sous contrôle allemand…). C’est là que nous faisions la présentation de la version anglaise du rapport Cyclope.
Du jardin suspendu au sommet du bâtiment, on a une superbe sur le paysage londonien en perpétuelle restructuration. Les quelques églises de Wren restaurées après les destructions du Blitz, et même la cathédrale Saint-Paul survivent à peine au milieu d’un délire architectural qui n’a pas épargné les bâtiments de l’époque victorienne, celle de la première heure de gloire de la City. L’impression est celle d’un incontestable dynamisme, mais aussi d’une pagaille monstrueuse sans aucune réflexion urbanistique. Les architectes multiplient les “gestes” comme le célèbre concombre où la nouvelle tour pyramidale, en face du Tower Bridge, qui sera la plus haute d’Europe. Il est vrai qu’à Londres, les fonctions d’habitation et de lieu de travail sont séparées ce qui n’est pas le cas à Paris. Mais pour le visiteur qui peut trouver le “Tube” lent et cher, l’immense avantage de Londres demeure celui de la disponabilité de ses taxis… Le marché a là du bon !
21 juillet
La faim revient à la une. Cette fois c’est la Corne d’Afrique qui est touchée. La sécheresse serait la plus grave depuis soixante ans, mais elle affecte une région marquée par la malgouvernance et les guerres civiles : la Somalie, sans véritable état depuis vingt ans, l’Éthiopie, une partie du Kenya… Au total, 12 millions de personnes seraient touchées. Les images d’enfants décharnés sont bien sûr révoltantes. Et la communauté internationale semble démunie.
Accuser, comme le font certain, les marchés et la hausse des prix mondiaux n’a aucun sens. Tout au plus, celle-ci augmente le coût de la facture de l’aide alimentaire, ce qui militerait d’ailleurs pour la constitution de stocks d’urgence en nature susceptibles d’être mobilisés rapidement pour intervenir dans de telles circonstances.
Mais là n’est pas bien sûr l’essentiel. Au-delà du climat et même des guerres civiles, c’est l’abandon patent des politiques agricoles dans des pays comme l’Éthiopie ou le Kenya qui doit être fustigé. Dans ces pays, les autorités ont préféré jouer la carte des grands domaines souvent affermés à des intérêts étrangers, chinois, arabes ou occidentaux. Les paysans, eux, sont ignorés, condamnés à l’exode et à aller gonfler les bidonvilles des grandes cités. C’est là oublier que la réussite agricole est liée à l’équilibre subtil des relations entre un homme – le paysan – et sa terre. C’est en les brisant que l’on obtient des famines comme celle-ci.
22 juillet
Dans les années soixante, l’Europe (à six à l’époque) vivait au rythme des « marathons » agricoles et c’était souvent dans l’aube blafarde d’un petit matin bruxellois que les compromis étaient enfin trouvés entre les ministres les plus… résistants. Aujourd’hui, l’Europe est à l’heure des marathons monétaires. Celui qui vient de s’achever semble devoir donner quelque répit à une zone euro bien agitée. Comme autrefois, c’est encore un compromis franco-allemand (N. Sarkozy se rendant lui-même à Berlin pour convaincre une A. Merkel toujours aussi timorée) qui a préparé le terrain à un accord dont – à chaud – on peine à faire le bilan exact. La Grèce va recevoir 160 milliards d’euros d’aide supplémentaire (110, venant de l’Europe et du FMI, 50 des banques elles-mêmes), mais en même temps pourra pratiquement se mettre en défaut. Un fonds Européen de Stabilité Financière pourra racheter de la dette souveraine sur le marché secondaire, mais il n’est pas question pour autant de lancer des obligations européennes. La gouvernance européenne fait des progrès, mais de ministère des Finances européen, point !
Alors verre à moitié vide ou verre à moitié plein ? Les Cassandres ne manquent pas qui voient la Grèce ou le Portugal sortir par le bas, qui souhaitent que l’Allemagne sorte par le haut. L’euro est désormais ouvertement remis en cause et pourtant il fait preuve de surprenantes capacités de résistance, comme autrefois la PAC. Au-delà de la malchanceuse Grèce, cette crise est salutaire même s’il en coûte quelques nuits blanches aux ministres.
23 juillet
Les nouvelles sur le front macro-économique ne sont pas très bonnes et il semble bien qu’un peu partout l’heure soit au ralentissement économique. Aux États-Unis, la reprise est trop molle pour créer des emplois, le marché immobilier reste plombé et la Fed ne dispose plus d’aucune marge de manœuvre même si Obama parvient à obtenir du Congrès un relèvement du plafond de la dette. Le chômage augmente, le moral des Américains s’assombrit. En Europe, tous les indicateurs avancés plongent sans même parler des conséquences de la crise monétaire. Certains n’hésitent pas à parler de croissance zéro pour le troisième trimestre. Pour l’instant pourtant, les chiffres réels restent bons notamment pour l’emploi en France. Dans les pays émergents enfin, le gouvernement chinois s’efforce de refroidir le moteur économique afin de calmer la surchauffe inflationniste. Cependant, l’Empire du Milieu devrait encore atteindre cette année les 10 % de croissance. Mais, signe des temps, cette croissance n’est plus seulement la conséquence d’une accumulation primitive de capital : elle est plus complexe, plus fragile aussi.
Au total, le monde a probablement trop vite pensé que la page de la crise était tournée. Partout, même dans les pays émergents, la reprise est plus lente qu’anticipée. Le commerce mondial a rebondi (de 14,5 % en 2010) et avec lui les déséquilibres provoqués par les excédents des uns et les déficits des autres. Au moindre ralentissement, ce sont ces déséquilibres qui nous feront sortir de route.
24 juillet
Un australien a gagné le Tour de France, devant deux frères luxembourgeois et, au pied du podium, un Français, l’admirable Thomas Vœkler, qui n’a rendu sa tunique jaune que dans l’ultime montée de l’Alpe d’Huez. Que ce soit là ou sur les pentes du Galibier, l’enthousiasme populaire aura été à son comble avec cette année un tour particulièrement indécis. Cadel Evans est un vainqueur sans beaucoup de panache sur le chrono de l’ultime contre-la-montre. Les frères Schleck ont confirmé l’impression de leur limite tactique et probablement d’intelligence tant leur stratégie a été absurde en se refusant notamment d’attaquer dans les Pyrénées. Contador a montré ses limites même si le doublé Tour/Giro est de plus en plus difficile à assumer ; et puis il roulait probablement à l’eau claire. La France enfin a rêvé avec Thomas Vœkler.
Mais comment oublier tous les autres, tous ceux qui ont souffert, ont été des abonnés du « gruppetto » les soirs des grands cols, tous ceux qui ont un peu montré le maillot et puis se sont fondus dans l’anonymat du peloton. C’était aujourd’hui leur jour de gloire avec le défilé sur les Champs-Élysées. On va vite les oublier…
L’été « sportif » se poursuit avec les Championnats du monde de natation puis ceux d’athlétisme et puis la Coupe du Monde de rugby. Tous des professionnels, mais avec encore un peu de sens du panache.
25 juillet
Une journée de pluie comme le Pays Basque en a parfois le secret : un rideau qui me rappelle en moins chaud celui de la mousson lorsqu’elle aborde les côtes indiennes ; une journée passée sans distinguer la Rhune, notre montagne tutélaire qui domine la plaine labourdine. Une journée avec Jules et Victor, mes petits-fils, une belle journée donc.
Et puis, en fin d’après-midi sur Radio Clasica, la radio nationale d’Espagne qui ne passe que de la musique classique et bien peu de paroles, à la différence de notre chère France Musique, la diffusion en direct de l’ouverture du centième Festival de Bayreuth avec le Tannhaüser de Wagner.
Peu de musiciens ont autant marqué un pays de leur empreinte que Richard Wagner. Plongeant aux racines de la mythologie germanique, il a su aussi s’inspirer du courant mystique d’un Moyen-âge idéalisé déjà par le mouvement du « Sturm und Drang » : de tous ses opéras, Tannhaüser est probablement l’un des plus beaux à la fois sur le plan de la musique, mais aussi de la poésie et du rêve.
Et puis Wagner a poussé la mégalomanie jusqu’à créer son propre temple à Bayreuth et le festival est devenu un des moments forts de la vie sociale et politique allemande, cela bien avant et bien après la parenthèse hitlérienne. Alors ce soir en Allemagne, tout s’est arrêté : oublié l’euro et le problème grec, oubliée la morosité d’un peuple qui ne fait plus guère d’enfants, oubliés même ces néo-nazis dont un émule vient de provoquer un massacre en Norvège, la musique du vieux barde s’est élevée, celle du Chœur des Pélerins et la pluie basque a été oubliée.
26 juillet
Jules est allé aujourd’hui pour la première fois au cinéma avec ses grands-parents : à deux ans et demi, il a assisté à la première du dernier dessin animé de Walt Disney et de Pixar présenté en 3D : « Cars 2 ». On est là loin des premiers films de Disney, des Bambi et des 101 Dalmatiens qui ont peuplé et émerveillé nos enfances.
Dans ce film – de grande qualité technique –, les personnages sont des voitures (désolé pour la théorie du genre, mais les caractères sont bien affirmés et les voitures femelles sont réduites à faire de la figuration). C’est un curieux mélange de James Bond au pays des voitures (personnage joué bien entendu par une Aston Martin) et d’ambiance de course qui nous emmène à Tokyo, à Londres, à Monaco et à Paris (où les Halles sont recréées pour devenir un marché aux pièces détachées automobiles…)
Jules bien entendu n’a vu que des courses de voiture et la victoire de son héros, Flash Mac Queen. Mais le scénario révèle quelques trouvailles au cœur des problématiques de l’énergie : les courses sont en organisées avec un nouveau carburant à base d’énergies renouvelables. Il faut en effet en finir avec le pétrole. En réalité, ce carburant est trafiqué par un « méchant » qui contrôle un énorme gisement de pétrole offshore. Ce roi du pétrole veut décrédibiliser les carburants renouvelables pour mieux asseoir sa puissance sur le marché. Heureusement, un militant « vert » (joué bien entendu par un combi VW verdâtre) remplit le réservoir du héros avec un « bon » carburant renouvable. Le règne des vieilles voitures polluantes se termine même si les dernières images montrent nos amis rouler à fond dans le désert : le retour de la bonne vieille « driving season ».
27 juillet
En cette fin d’après-midi, les rues des principales villes de la Côte basque se sont couvertes de jeunes – et aussi de moins jeunes – en tenue blanche avec une ceinture et un foulard rouge, la tenue des « festayres » des fêtes de Bayonne qui pendant trois jours vont réunir près de 1,5 million de participants. Les fêtes de Bayonne sont parmi les plus importantes en France devançant celles de Dax ou de Mont-de-Marsan et même la plus emblématique de toutes, de l’autre côté des montagnes, la célèbre San Fermin de Pampelune (début juillet) dont Hemingway fut le chantre.
Ces dernières années, les fêtes de Bayonne ont connu un développement qui a dépassé ses organisateurs. On vient à Bayonne de toute l’Europe pour faire la fête, pour boire et chanter. Il est vrai que la ville s’y prête avec ses rues étroites autour de la cathédrale et puis de l’autre côté de la Nive, le quartier du Petit Bayonne qui fut longtemps un des hauts lieux de la vie nocturne basque. À chaque coin de rue des « bandas » et puis beaucoup de lieux plus privés, les « peñas » où faire la fête devient un art.
Mais dans les succès des fêtes de Bayonne, il y a tout un besoin actuel de la jeunesse de se retrouver pour faire la fête, pour faire bloc et repousser toutes les limites. C’était autrefois la fonction du Carnaval que l’on ne célèbre plus guère sous nos latitudes. C’était aussi les lupercales des Romains. On repousse les limites de l’interdit et pour quelques heures, la ville est à eux.
28 juillet
Amazon vient de publier ses résultats : ils sont excellents et j’en suis désolé tant ils portent en eux la fin du livre et de ceux qui l’aiment et au premier chef des libraires. Au premier semestre 2011, Amazon a réalisé près de $ 20 milliards de chiffre d’affaires à partir d’un site qui est devenu le plus important site marchand au monde. Amazon est une des premières entreprises à avoir su gérer l’interface entre l’écran et le physique et à avoir été capable d’assurer la logistique de commandes en ligne à livrer directement chez le client. Mais Amazon ne traite pas des marchandises vulgaires, mais des livres, sa spécialité d’origine qui représente encore un quart du chiffre d’affaires de l’entreprise. Au moment où disparaît le grand libraire américain Borders à la suite d’une faillite, le modèle Amazon sonne le glas du libraire. Mais il y a pire : Amazon a développé un système de lecture électronique, Kindle, qui permet de télécharger près d’un million de livres la plupart pour $ 10. Les étudiants peuvent désormais télécharger les pages de leurs manuels pour des périodes déterminées ce qui revient à de la location. Le livre recule donc un peu plus vers un monde virtuel dont aura disparu l’odeur du papier et de l’encre. Dommage.
À Saint-Jean-de-Luz justement, nous n’avions plus de libraire, simplement des marchands de journaux vendant aussi des livres. Une jeune femme vient de créer une librairie, une vraie ; elle lit, conseille, fait aimer les livres. Amazon est bien loin.
29 juillet
Le Championnat du monde de natation se déroule cette semaine à Shanghai, dans une superbe piscine qui jouxte le site de l’ancienne Exposition Universelle. Là aussi, les Chinois ont fait un énorme effort tant d’organisation que de participation et presque dans toutes les courses on découvre des nageurs chinois inconnus et performants. Néanmoins, la natation reste le précarré de quelques nations occidentales dont les beaux bébés aux larges épaules trustent les médailles : américains, australiens, français et quelques individualités comme ce brésilien, qui a bénéficié de la mansuétude des autorités de la natation internationale malgré un flagrant délit de dopage.
Par rapport à d’autres sports, la natation, certes devenue professionnelle, conserve un certain amateurisme et ce n’est que récemment que quelques nageurs ont pu monnayer leur talent à l’extérieur des piscines. On se souvient bien sûr de Johnny Weissmuller qui avait fait une seconde carrière au cinéma en interprétant Tarzan. Mais voilà un nageur français, médaillé d’or sur cent mètres dos, choisi pour être « l’image » des montres Chanel. Cela vaut bien d’engloutir des dizaines de kilomètres par semaine !
Ce qui est fascinant dans le cas de la natation française c’est d’assister à l’éclosion de toute une génération alors que la France se contentait en général de quelques fugaces individualités. Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ? C’est là aussi, au-delà de tous les programmes et investissements, la glorieuse incertitude du sport.
30 juillet
Au 1er janvier dernier l’Union Européenne comptait 502 millions d’habitants, une croissance de 1,4 million en un an : mais une croissance due pour un tiers seulement à la démographie et pour près des deux tiers à l’immigration (854 000 personnes). En réalité, même en tenant compte du solde migratoire, sept pays européens ont vu leur population diminuer en 2010, et notamment l’Allemagne qui reste pourtant le pays le plus peuplé d’Europe (81,7 millions d’habitants).
L’Europe vieillit donc et ne rééquilibre un peu sa pyramide des âges qu’en ouvrant le robinet migratoire. Sans l’apport de populations migrantes, la population européenne serait stagnante aujourd’hui, déclinerait demain. Il y a bien sûr des exceptions comme la France et son insolente natalité (plus faible que celle du Royaume-Uni toutefois), mais le plafonnement de la population européenne est un fait n’en déplaise aux tenants du « zéro immigration ».
Historiquement, l’Europe a été une terre d’immigration, mais aussi d’émigration ce qui a notamment été le cas de la France. D’un point de vue égoïste, il serait suicidaire de fermer à nouveau nos portes. Ceux qui se lancent à l’assaut de la « forteresse Europe » sont souvent les plus déterminés, les plus courageux aussi. Pourquoi les laisser se noyer au large de Lampedusa ou d’Algésiras. Ils méritent mieux et l’Europe en a encore besoin.
31 juillet
C’était aujourd’hui le baptême de Victor, mon deuxième petit-fils. Il a eu lieu en cette belle église de Ciboure où se sont déroulés tant de nos événements familiaux depuis l’époque de mes parents.
On a beaucoup discuté dans l’église catholique du baptême des enfants. La génération du Concile défendait l’idée du choix de l’enfant et préconisait un baptême à l’adolescence (qui a existé sous la forme de la « communion solennelle » ou renouvellement des vœux du baptême). Mais le baptême du nourrisson est fortement ancré dans la tradition judéo-chrétienne : il suffit de se souvenir de la présentation de Jésus au Temple.
Victor a été baptisé dans la foi de ses parents et il est entré dans le mystère de Dieu par ce qui est un sacrement qui nous dépasse. J’aime cette notion de mystère chrétien qui entroure la relation de l’homme et de son créateur.
Plus prosaïquement, c’est aussi le signe de l’entrée de Victor dans une communauté humaine, un engagement aussi de ses parents à lui donner l’éducation religieuse et l’ouverture spirituelle qui lui permettront plus tard de faire un choix et de ne pas sombrer dans l’indifférence assoupie qui caractérise tant de chrétiens « statistiques ». Le baptême est une porte qui s’ouvre, un vent qui souffle qui fera aussi de Victor un adulte touché par l’Esprit.